mise à jour : 25/03/2024
Nathalie DESSE, dans Ouest France, Au fil des lumières. Février 2024. (lire le texte)
Florence de Mèredieu, MADÉ, le Ciel et la Mer comme palette. Les Mots de Madé, Entretien. Août 2022. (lire le texte)
Nathalie Amiot, grains de lumière 2019. (lire le texte)
madé, être à l’œuvre, petit livre rouge, 250 exemplaires numérotés. éd. atelier blanc, Champlay, 2018. (lire quelques extraits du texte)
Stéphanie Le Follic-Hadida, idem, 19ème Biennale internationale de Céramique de Châteauroux, 2017, madé et Jean-Marc Fondimare /// AURELIE NEMOURS
(lire le texte)
Stéphanie Le Follic-Hadida, Objectif terre, 18ème Biennale internationale de Céramique de Châteauroux, 2015,
madé et Jean-Marc Fondimare ou l’histoire d’une amitié provoquée.
(lire le texte)
madé, deux têtes quatre mains, Le fil rouge, Roubaix/FR, 2017.
(lire le texte)
Diana Quinby, madé cheminement vers l'épure, texte français/anglais, éd. atelier blanc, Champlay, 2013
(édition épuisée - Télécharger ce texte)
GéométrieS, DVD, sous le commissariat d’Yvon Mutrel, réalisation Claude Yvans, éd. Espace d’art contemporain Eugène Beaudoin, Antony, 2013 (voir la vidéo, lire les textes d'Yvon Mutrel)
Le temps des Demeures : Une maison pour la peinture, ouvrage collectif sous la direction de Jany et Michel Thibault, éd. Maison Cantoisel, Joigny, 2012
(lire le texte de madé)
Stéphanie Le Follic-Hadida, Bernard Guibert, BLANC SUR BLANC, portfolio : 50 ex. numérotés, 8 photos,
éd. atelier blanc, Champlay, 2012 (lire le poème de Bernard Guibert)
Florence de Mèredieu, Madé, la couleur en perspective, blog de Florence de Méredieu 18 septembre 2011
Escaut. Rives, dérives : Festival international de la sculpture contemporaine, ouvrage collectif sous le commissariat d’Alain Leduc, Association Escault & Acier, éd. Somogy, Paris, 2011
Vidéo Alès Cévennes 24 octobre 2011 : Perception en question. (voir la vidéo)
Sculpture’Elles. Les sculpteurs femmes du XVIII siècle à nos jours. Ouvrage collectif sous le commissariat d’Anne Rivière et la direction de Frédéric Chappey, Musée des Années Trente, Boulogne-Billancourt, éd. Somogy, Paris, 2011
Geneviève Curel, les noirs de madé, éd. atelier blanc, Champlay, 2011 (lire le texte)
Stéphanie Le Follic-Hadida, BLANC SUR BLANC, entre pareil et presque, éd. atelier blanc, Champlay, 2010
(lire le texte de Stéphanie Hadida, lire le texte de Jacques Py)
Patrick Autréaux, Marie Lapalus, PAROLE À VOIR dialogue en noir blanc gris, sur une proposition d’André Le Bozec, éd. Musée des Ursulines, Mâcon, 2009
Sylka Sauvion, madé, in Le baladeur, France Bleu Auxerre sous la direction d’Olivier Pottier, 2008
Jacques Py, madé, Les Pléiades, collège Albert Camus Auxerre, Petit Cahier n°18, éd. Centre d’art de l’Yonne, Auxerre, 2008 (Télécharger ce texte)
Donation Satoru Sato and friends Constructive Art, ouvrage collectif, Satoru Sato Art Museum, Tomé, Japon, 2008
Patrick Autréaux, Nicolas Surlapierre, L’abstraction géométrique vécue, Rencontre entre un peintre et un collectionneur, Donation André Le Bozec, éd. Musée de Cambrai, 2007
Serge Lemoine, Dc Éric Franz, Art construit- Art concret, La donation d’une collection, Ouvrage collectif, éd. Musée de Cambrai, 2007
Joëlle Le Brun, la lumière me fascine, le silence me nourrit, portofio : 30 ex. numérotés, éd.atelier blanc, Champlay et JLB création, Paris, 2007, épuisé
Daniel van de Velde, madé/tessiture/teintes/textures, éd. Centre d’art de l’Yonne, Auxerre, 2006
Christophe Duvivier, Horizontales verticales seules, art concret, Musée Tavet-Delacourt, Pontoise, éd. Somogy, Paris 2007
Patrick Autréaux, madé et l’art de la synecdoque, éd. atelier blanc, Champlay, 2005 (lire le texte)
Claire Legrand, madé ou la couleur funambule, éd. atelier blanc, Champlay, 2005 (lire le texte)
Jacques Py, Qui a peur du rouge, du jaune et du bleu ? éd. Centre d’art de l’Yonne, Auxerre, 2003 (lire le texte)
Annick Alexandre, madé, Les pans… FR3 Bourgogne, Dijon
Arnaud Laporte, L’atelier de madé, in Multipistes, France Culture, 18 septembre 2003
madé, les pans… , portfolio : 50 ex numérotés contenant 11 photos de Marianne Montely-Caron, éd. atelier blanc, Champlay 2003, épuisé
Martine Chantereau, Les formes-lumière de madé, in Samedi &Cie, 13 septembre 2003 (lire le texte)
Nicolas Bouillard, Les espaces colorés et lumineux de madé, éd. atelier blanc, Champlay, 2003 (lire le texte)
Georges Bénaily, Mues de paysages, éd. atelier blanc, Champlay 2002 (lire le texte).
Christian de Joux, Chez madé, 2001, in BLEU-DRÔME ET MAROUETTES, Balades à deux voix
Christian DE JOUX, Claude Lambert-de Joux, Joigny 2013 (lire le texte)
Ouvrage de l’atelier Cantoisel, ouvrage collectif sous la direction de Jany et Michel Thibault, éd. Atelier Cantoisel, Joigny, 2001
Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne, 1984-2000, ouvrage collectif sous la direction d’Emmanuel Latreille, FRAC Bourgogne, Dijon, 2001
Stefanie Mittenzwei, Ihr geht es um das Spiel des Schattens, in Mainzer RheinZeitung, Mayence, 19 août 1999
Alain Cancel, regard du journaliste dans Le Petit Jovinien, suite à la découverte des ateliers de madé. (lire le texte)
Amarante, Vermillon, Ocre, Rouges, sous le commissariat de Marie Lapalus, éd. Musée des Ursulines, Mâcon, 1998
Gérard Durosoi, La règle et l’émotion, sous le commissariat de Marie-Victoire Poliakoff, éd. Musée Campredon, L’isle sur la Sorgue, 1997
Daniel Dobbels, Lumière d’été, éd. Atlelier Cantoisel, Joigny, 1997 (lire le texte)
Marie Lapalus, Art construit, Art concret, donation Repères, Mâcon, éd. Musée des Ursulines, Mâcon, 1997
Philippe Vacquié, Quand la géométrie flirte avec le baroque, Paris 1996 (lire le texte)
Polychromie, ouvrage collectif, éd. Centre Culturel de la Commanderie des Templiers de la Villedieu, Saint Quentin en Yvelines. 1995
Georges Bénaily, Profiler l’horizon, 1995.
Jean-Jacques Scherrer, Le carmen, portofio : 100 ex. numérotés, éd. Galerie Saint-Charles de Rose, Paris, 1993, épuisé
madé et Jean-Marc Fondimare
ou l'histoire d'une amitié provoquée
Les Photons voyageurs, 2015
Installation, porcelaine et engobes, réalisée pour la Biennale.
Dimensions variables
Chasseuse de lumière, madé, sculpte la couleur. Habituellement, elle travaille sur mdf (bois). A travers la couleur, c'est la lumière qu'elle vise. L'intensité de la lumière passe par la capacité « explosante » des blancs (Aurélie Nemours). Écrire la lumière et l'exalter par la couleur et par le blanc. Aspiration durable.
La couleur est retenue cachée (sous un angle rentré ou au verso). En appui sur les blancs, elle prend la forme mouvante d'un halo vibrant, d'une oblitération tremblante. Poudre de photons, suspendue à la lumière du jour. Intensité désuète qui ne parle qu'aux yeux fragiles.
Sa rencontre avec Jean-Marc Fondimare lui imposa de penser porcelaine et non plus mdf. La porcelaine est lumière. Alors comment potentialiser sa connaissance du rebond lumineux avec la porcelaine ? Jean-Marc lui a dévoilé un à un les secrets de cette matière qu'elle ne connaissait pas. Ensemble, ils ont imaginé et mis à l'épreuve la porcelaine et les pigments dans leur épaisseur et leur surface. Jean-Marc, comme à son habitude, s'abrutit aux ponçages et à l'effacement du geste pour ne pas faire obstacle à la lumière. Ensemble, ils ont créé les conditions optimales de sa résonance, pour une poésie spatiale exponentielle.
La lumière naturelle de la salle capitulaire sert le propos et berce l'ensemble. La lumière-couleur
tisse un lien ténu et tendu entre les modules. La perception de l'installation évolue au
fil des heures, dans la durée et le changement.
L'œuvre, au fil du Journal de madé, atelier blanc, 2014-2015 :
Septembre 2014
Le projet Châteauroux m'est proposé : étudier pour augmenter en binôme et dans un esprit d'équipe les potentialités qu'a la porcelaine à capter la lumière.
Le travail sur la lumière m'habite et me fait me lever tous les matins. Je le pratique depuis des années. Seul le matériau change. La porcelaine, c'est blanc et bien tentant. Que faire ? Quitter des recherches en cours pour un tout autre projet qui ouvre sur un tout autre ailleurs est un dilemme et j'ai quand même un peu la trouille !!!!
Stéphanie m'invite à aller voir Jean-Marc Fondimare à Saint-Amand-en-Puisaye, « un pro du coulage/moulage de la porcelaine, un matheux qui donne aussi des cours dans une école de design ». Tout pour me rassurer.
15 octobre
Première rencontre à Saint-Amand-en-Puisaye. Le courant passe immédiatement. Très vite, Jean-Marc me dit qu'il accepte de travailler avec moi (ouf ! J'ai quand même l'âge d'être sa mère). Première démonstration d'un coulage dans un moule, premiers rudiments sur la fabrication. Je prends en main de la porcelaine pour la première fois. Douceur insoupçonnée. Grande émotion. Le blanc de la porcelaine peut varier selon sa composition. Malévitch et son mythique Carré blanc sur fond blanc me traversent l'esprit...
La porcelaine porte en elle sa lumière. Il va falloir partir à sa recherche, l'observer, la faire vivre.
Autour d'un café, Jean-Marc évoque son travail et me sort sa boite à rebuts – qu'il appelle ses erreurs - pour me montrer tout ce qu'il ne faut pas faire. Autant de surprises qui m'enchantent.
20 octobre
C'est parti ! Jean-Marc et moi sommes d'accord pour faire ensemble quelque chose et prêts à accepter la possibilité d'un échec. Plus le moindre doute.
Stéphanie m'appelle, je décroche, j'entends son sourire. Je lui dis : TOUT VA BIEN. Elle me rapporte la réflexion que lui a faite Jean-Marc : « madé aime mes erreurs !!!! ». Ça nous a fait rire aux larmes.
Chacun cogite de son côté, croisements téléphoniques fréquents. Essais de concentrations des pigments, essais de formes, d'épaisseurs, suggestions, analyses, photos, échanges. L'information circule bien entre nos deux ateliers séparés de 70 km.
Nuits blanches autour de l'immensité de ce projet : minimalisme, réverbération, spatialité, poésie.
3 novembre
Dans le vif du sujet. En prévision de la venue de Jean-Marc à l'atelier, je réalise une pièce en mdf de 19 mm d'épaisseur, comme deux morceaux de plinthe fixés au mur à angle droit, pour échanger sur les paramètres mis en jeu : couleurs et blancs dérobés au regard, ondulatoire dans la couleur réverbérée, épaisseurs de porcelaine, le mystérieux et l'aléatoire contrôlé.
Jean-Marc estime que la faible épaisseur des bouts de mdf induit un manque de présence. Bien vu. Plus alors ? Beaucoup de céramistes chatouillent la porcelaine jusqu'à sa translucidité. Pourquoi, au contraire, ne pas en jouer dans l'épaisseur ? Oui, répond Jean-Marc, mais deux centimètres max.
Donc, il faudra inventer une forme creuse dotée d'un angle sur un côté pour dérober la couleur au regard et faire chanter ou murmurer la porcelaine.
24 novembre
Visite du Couvent des Cordeliers, direction la salle capitulaire. Le lieu est classé, impossible de s'emparer des murs. Investir un lieu, c'est d'abord le respecter.
C'est en vue de dessus, par des escaliers de pierre, que nous découvrons cet espace : CHOC. Devant nous, un mur immense sur lequel le regard se fracasse.
Jean-Marc lâche un eh bien madé, on n'a pas intérêt à se louper, c'est le dernier lieu que les visiteurs vont découvrir après tout le parcours que nous venons de faire ! Bon, alors au boulot ! Appareil photo, caméra, mètre, crayon, papier. Se parler, s'écouter, échanger, proposer. Nous restons un sacré moment dans ce lieu de 64 m2, histoire de l'apprivoiser. Jean-Marc invente une scénographie que je trouve séduisante, mais qui dès notre retour en Puisaye commence à s'étioler... et effectivement, elle tombera vite à l'eau. Le séduisant, faut toujours s'en méfier, dixit Aurélie Nemours.
30 novembre
Je dessine le plan de la salle capitulaire au dixième.
1er décembre
Je construis la maquette qui permet de visualiser l'implantation et la circulation des visiteurs. Je découpe du carton, crée des maquettes de socles, je trouve assez rapidement la dimension des plateaux : 80 x 80 cm. A 16h30, j'appelle Jean-Marc pour l'informer qu'elle est terminée. Je lui envoie des photos. Échange de mails et de propositions.
Janvier 2015
Jean-Marc avance bien dans ses recherches de pigments, met au point une sorte de crépis porcelaine pour accueillir autrement la réverbération des couleurs. Moi je patine. Détours, voies sans issue.
Février
Ce n'est qu'en février que la scénographie fait sens et devient définitive : onze socles dessinent les diagonales perpendiculaires de la salle capitulaire, tous assez bas et à la même hauteur. Habiter le silence sans lui nuire. L'installation se découvrira du haut des escaliers.
Question basique : comment tout acheminer ? Nous imaginons des socles démontables et encastrables. La question de la mise en espace étant calée, je me peux me consacrer aux modules en porcelaine : tailles, nombre, couleurs.
Début mars
Je dispose six plateaux de 80 x 80 cm dans l'atelier blanc, sur des supports de 30 cm de haut. Je scie des modules dans du polystyrène, j'assemble, je permute, je recommence tout, une fois, deux fois... Arrive un jour où tout se cale. Juste. Changer un seul élément devient le début d'un autre projet. Je prends tout ceci en photos pour en parler avec Jean-Marc qui approuve. Je me lance alors dans la réalisation des matrices en bois nécessaires à la fabrication des moules et les lui apporte.
Semaine suivante : stage de plâtre pour Jean-Marc, douze moules à créer. Une semaine éprouvante dont il sort sur les rotules !
13 mars
Jean-Marc attribue un nom à notre œuvre en train de se faire : les Photons voyageurs.
19 mars
Les moules sèchent. Les 77 modules seront réalisés, peints et cuits par Jean-Marc selon un calendrier très précis. Moi, je dois débiter du mdf afin de construire les socles. Ensuite, je les peindrai, noir mat pour les piétements et blanc satiné pour les plateaux.
Avril
C'est ensemble que nous découvrirons les premiers modules au sortir du four, dans l'Atelier des garçons de Saint-Amand-en-Puisaye. Deux couleurs : bleu et orange. Pas de retour possible. Livraison et installation en juin. A Dieu vat !
Stéphanie Le Follic-Hadida
commissaire in OBJECTIF TERRE, 18° Biennale internationale de Céramique de Châteauroux
Couvent des Cordeliers / Musée-Hôtel Bertrand, Châteauroux Métropole, 2015
TANDIS QU’ILS NE SE CONNAISSAIENT PAS, madé, SCULPTEUR DE LUMIÈRE SUR MDF, ET JEAN-MARC FONDIMARE, CÉRAMISTE SPÉCIALISÉ DANS LE TRAVAIL DE LA PORCELAINE, AVAIENT ÉTÉ INVITÉS À TRAVAILLER ENSEMBLE LORS DE LA 18IÈME BIENNALE DE CHÂTEAUROUX. ILS ONT, AU COURS DE CES DEUX DERNIÈRES ANNÉES, POURSUIVI LEUR TRAVAIL COLLABORATIF SUR CE MÊME THÈME DE LA FORME ET DE LA MATIÈRE-LUMIÈRE. ILS ONT SOUHAITÉ, CETTE ANNÉE, CONFRONTER LEUR TRAVAIL À DES GRAVURES D’AURELIE NEMOURS, ILLUSTRE PEINTRE MINIMALISTE DÉCÉDÉE EN 2005.
madé & Jean-Marc Fondimare par Stéphanie Le Follic-Hadida commissaire de la 19 ième Biennale Internationale de Céramique de Châteauroux, 2017
madé, vous êtes installée à Champlay, dans l’Yonne, depuis 1992. Vous vous qualifiez de peintre sculpteur. Jean-Marc Fondimare, vous êtes céramiste et installé en tant que professionnel à Saint- Amand-en-Puisaye, dans la Nièvre, depuis 2011.
madé, vous travaillez à potentialiser les vibrations lumineuses d’une couleur apposée en couches successives sur des panneaux de mdf. Chaque passage couleur est caressé au chiffon de feutre. A travers la couleur, c’est la lumière que vous visez. Commencé à la fin des années 80, votre chemin artistique vous engage dans la voie du minimalisme. Aurelie Nemours incarne, pour vous, l’artiste tutélaire. Comme elle, vous vous appliquez à cultiver la ligne horizontale, l’angle droit et le principe de simplification systématique, en quête du signe « chargé » et soustrait au « visible ».
Jean-Marc, vous travaillez exclusivement la porcelaine, par coulage-moulage, à destination d’un utilitaire design synthétique et graphique.
En 2014, et tandis que vous ne vous connaissiez pas, il vous est demandé de bien vouloir collaborer afin de présenter dans la salle capitulaire de la 18e Biennale de Châteauroux une installation autour de la porcelaine et sa capacité à potentialiser la spatialité de la couleur-lumière. Vous concevez alors une installation de 85 modules en porcelaine offrant par leur forme, leur qualité de matière et de ponçage, des conditions privilégiées aux résonances colorées, aux lumière-couleurs induites. L’installation s’intitulait Les Photons voyageurs. Vous avez souhaité donner une suite à cette collaboration au départ imposée et, parallèlement à votre travail respectif, d’autres projets communs sont nés : une série limitée intitulée Trois points de suspension fut éditée à douze exemplaires et, en février 2017, votre binôme présentait une exposition au Fil rouge, à Roubaix, ainsi que l’édition limitée d’Une Forme. A deux, dites-vous, les choses se sèment plus vite, les décisions sont prises plus vite. « Il ne faut faire ni l’économie des regards, ni celle des mots ».
Cette année, vous décidez de ‘tuer la mère’. Vous avez choisi quatre gravures de Aurelie Nemours pour point de départ à votre expérimentation, avec en tête, la volonté d’en prendre le contre-pied pour construire sans passer par l’angle droit. L’architecture contemporaine (de Frank Gehry notamment) vous donne raison. L’angle droit, dites- vous, est une invention de l’homme, qui évince de son principe constructif le risque et l’erreur. Pour un minimaliste, renoncer à l’angle droit, c’est comme « travailler sans filet ». Pour autant, vous ne visez pas la disjonction entre la forme et la fonction. Il s’agit bien et toujours pour vous d’offrir à la lumière-couleur un volume tendu le plus propice aux vibrations, aux instabilités, et dans la non-reproductibilité de l’instant. Vous élisez une forme née d’un dessin réalisé au fusain sur papier en 2013. Cette forme devient, en 2014, sous le titre la Barque, une forme développée en frise sur un support mdf. L’idée d’une transcription volumétrique de cette forme plane reste une tentation impossible en bois. L’usage de la porcelaine moulée lui rend sa faisabilité, même si les complications techniques sont immenses. Dès le départ, vous entendez générer une forme quelconque, irrégulière, sans particularité, sans angle droit. La forme, que vous appelez « chose » devient « cube » une fois transcrite en porcelaine. Un Cube, façon Alberto Giacometti ou Émile Gilioli, soit un polyèdre à faces multiples, neuf pour vous.
Pris dans les mains, on a le sentiment qu’il est rond tant la porcelaine atténue les arêtes et les plans. Rien n’est plus agressif. Le Cube a son corps et sa peau. Poncée à l’extrême, la porcelaine offre cette continuité tactile et visuelle, dénuée de tout raccord. Toujours, chez vous deux, ce même souci d’uniformité dans le traitement de la surface.
Là où, en 1934, les critiques jugent la pièce de Giacometti sévèrement, estimant que l’abstraction échoue à investir le Cube d’un « contenu d’expérience », vous défendez l’expérience du blanc, celle du blanc comme matière et comme couleur-lumière. L’histoire n’est pas nouvelle, le Carré blanc sur fond blanc de Malévitch est là pour nous le rappeler, le Portrait de Camille, sa femme défunte, par Claude Monet, l’est tout autant et crie que le blanc est ensemble de couleurs. Vous-même, madé, travaillez à cette question du blanc depuis de nombreuses années (exposition Blanc sur blanc en 2010). Comme pour le noir, dites-vous – les valeurs en sont infinies. Vous parlez de « blanc lent » de « blanc explosant » ou de « blanc paresseux ». Cuit à 950° (dégourdi), puis à 1300°, l’objet - en fonction de la densité et de la qualité de la barbotine - affichera une blancheur différente (blanc-gris /gris-blanc / blanc pâle...). Si le volume en porcelaine est évidé et poncé à l’excès, la lumière surgira du dedans de la matière. Il lui faudra du temps, dites-vous, pour arriver à la surface et vibrer, se poser, se déplacer, repartir, anticiper le mouvement du regardeur.
Une plaine
sans borne sans montagne sans mur
courbes tendues
étendues parcellaires
céréales mûres.
Un vent
l’ondulatoire.
Là, à perte de vue
démultipliés
les Quatuors d’Aurelie Nemours.
En bordure un village
dans le village une maison carrée et ses dépendances.
C’est là
nulle part ailleurs
et cette sensation inexplicable
de naître à moi-même
infiniment lentement.
Investir un lieu
c’est lui donner lumière et silence originels
en faire une œuvre
c’est l’écouter pour le voir
et réaliser les possibles invisibles.
L’ancienne forge vidée nettoyée
devient lieu de réflexions de réalisations.
L’espace de vie lavé badigeonné habitable.
La cour débarrassée de ses cabanons et appentis
du marronnier rabougri
respire enfin.
Carrés réservés
plans décalés
allée de briques
la dessinent.
Terre arable contre silex
les plantations s’envisagent.
Choisir des fleurs en fonction d’un climat particulier
d’une palette préférée
observer celles qui s’adaptent ou souffrent
maîtriser ou se séparer de celles indisciplinées
requiert patience respect ténacité
sans point possible
sinon l’anarchie.
Aujourd’hui ma cour m’enchante
les fleurs s’épanouissent avec grâce
la lumière l’inonde
surprises sans cesse renouvelées.
Deux ans après
le besoin d’espaces spécifiques s’impose.
Dans une partie de ma maison
je crée l’atelier blanc.
Plans décalés ou rectilignes
courbe tendue pour l’estrade
lumière en diagonale
lieu ultime
où chaque peinture est accrochée en situation
regardée analysée sans concession
aimée
en attente ou rejetée.
Dans les dépendances
l’écurie devient atelier des presses et entrepôt
la grange atelier des machines à bois.
Au sortir de ma maison
la plaine est ma chambre de méditation.
Parcourir sa géométrie tranquille
engranger ses couleurs
variant au gré du temps au gré des saisons
se soucier d’un rayon de pollen
d’une ombre de terre
regarder voir écouter
respirer ressentir
marcher et marcher encore.
Ici le temps ignore les brusqueries
les nuages s’effacent lentement
le froid le chaud s’installent dans la durée.
Correspondances
et lente osmose des éléments
comme en écho
dans le temps de la peinture.
Dix ans plus tard
l’espace prend toute sa place.
Dessinés peu après mon arrivée
les possibles deviennent visibles.
Sensations transposées
des voiles blancs de Robert Irwin
la lumière dégringole du ciel
traverse les ouvertures
se pose sur les épaules
ou glisse dans l’escalier nouvellement installé
inonde tout l’étage libre de ses cloisons
et d’un quart de plafond
elle circule
l’atelier blanc devient majuscule.
madé, Nantes mai 2006
situation 10
Hier après-midi, avec Michèle et Michel, visite chez madé.
Que dire ? Que retenir ? Le charme de la maison, de la cour ? Bien plus, on va le voir ! Un charme au sens de la magie, de cette artiste.
Entrons dans la grange, montons un escalier qui mène à une petite porte dans le mur. On s’attend à un balcon, ou à tomber de haut… Mais nous voilà de plain-pied dans le jardin potager. Un grillage le sépare du jardin de la mairie où derrière les lilas, se dresse une éolienne. Haute, elle est du temps où la ferronnerie était un art du quotidien, vieille d’un siècle au moins. Elle donnait l’eau au lavoir, mais la rouille aujourd’hui l’a coincée.
Nous sommes redescendus dans cette grange dont le mur, étayé de contreforts, soutient le potager. C’est une usine : presse d’un côté, scies, raboteuse dans une autre salle dont les poutres portent des nids d’hirondelles. Le rossignol des murailles n’a pas eu peur du bruit, il niche dans un trou du mur, dans un trou de la tranche du mur, à l’entrée. Nous l’avons laissé, gardien de la salle où luisent les machines d’acier.
Dans la cour ensoleillée, beaucoup de vivaces, &œlig;illets de poètes, digitales, et partout le parfum du buisson de chèvrefeuille qui nous accompagne en montant l’escalier extérieur menant à l’étage.
Vous l’avez compris, jusque-là j’étais à mon affaire dans une cour aux murs crépis patinés, dont fenêtres et portes sont entourées de briques, sous des toits de tuiles bourguignonnes, maison de ma grand-mère ou de son curé. Ici, une salle en longueur aux murs blancs. Sur ces murs, une suite de formes géométriques en bois peint, monochromes, quadrilatères qui m’évoquent les pièces du Tan gram chinois.
J’étais glacé. Dans un tourbillon de détresse et de dépit, ma tête se remplissait de formules, celles qui me viennent devant ce qu’on nomme art contemporain et qui me rebute : qu’est-ce que c’est ? arte povera ? art conceptuel ? Puis plus violemment, plus grossièrement : c’est ça que les critiques, les revues appellent des sculptures ? quelques planches sciées ? Et le sentiment d’un manque, je viens voir madé et elle me rejette ! (oui, je personnalise…) se moque-t-elle de moi ? de qui ? Tout ça roulant dans mes tripes, tout ça farci de Non ! Non ! Non ! farci d’un refus organique…
La raison me parle. Je déraillais ? On voit madé sourire, rire, jamais ricaner. Elle n’a pas un c&œlig;ur à se moquer de quiconque. La dérision ni le mépris ne l’habitent. Le fait est que je ne comprends pas. Je reste dans ma petite détresse mais j’attends.
Elle apporte un papier, nous lit le texte qu’elle vient d’écrire sur son travail. Elle écoute Michel. Ils dialoguent. Elle nous parle. J’étais assis sur cette sorte de banc-estrade qui coupe le salon, et à ma gauche, à la hauteur de mes yeux, on voit sur l’appui de la fenêtre quatre parallélépipèdes blancs. À ma droite, ces mêmes motifs sont placés au mur.
Mais je scrute les quadrilatères devant moi. Que s’est-il produit ? Est-ce le même phénomène que ce jeu d’optique qui fait que six cubes en pyramide en deviennent tout à coup sept en rosace ? Est-ce un phénomène analogue à l’image du stéréogramme qui transforme un cercle plat en sphère à caresser. J’écoute madé, Michèle et Michel. Je regarde. Et voilà que peu à peu chaque pan monochrome se transforme et tient sa place sur le mur blanc avec fermeté. La série des cinq sculptures prend sens. Comment nommer cette métamorphose qui fait que l’œil du regardeur peu à peu est charmé, que l’objet passe du facile au rigoureux, du banal à l’unique, sans changer de forme.
C’est beaucoup plus que cela. C’est que les pans et les tranches se mettent à chanter, les monochromes stridulent, tonitruent. Combien de temps a-t-il fallu pour que l’amorphe se cristallise ?
madé, tu nous fais le coup du quintette !
J’entre alors dans l’émerveillement.
J’ai écouté longtemps madé, Michèle et Michel. Nous sommes redescendus. madé ne nous a pas donné la route sans nous faire goûter ses framboises.
Christian de Joux, Joigny, 18 juin 2001
Chez madé, in BLEU-DRÔME ET MAROUETTES Balades à deux voix Christian DE JOUX, Claude Lambert-de Joux, Joigny 2013
Imprimé en décembre 2013 pour le compte de Claude Lambert-de Joux,
20 rue du ponton, 89300 Joigny.
Il fallait bien que cela arrive,
qu’aient lieu la rencontre, l’affrontement,
l’épreuve du blanc comme on dit l’épreuve du feu,
blanc sur blanc
mesure pour mesure
faire face - se colleter - affronter -
dépasser, plus encore que l’obstacle, sa propre peur,
outrepasser la limite
vertige de l’épreuve toujours recommencé,
le blanc à l’œuvre,
blanc contre blanc.
l’œuvre, au blanc, résistera-t-elle?
blanc contre blanc,
avec le spectateur comme public et arbitre.
blanc sur blanc
pas de but en blanc
mais mûri, nourri, aguerri,
règle de vie, église, atelier, galerie,
froide lumière des vitraux de Conques et Noirlac,
éblouissement des icebergs.
Et frotter, poncer, caresser,
chercher la transparence,
dans l’étale des couches
dévoiler la couleur originelle.
Une fois encore,
ballotté, rejeté, gratté,
entre ivoire et marbre,
l’os de seiche.
blanc sur blanc
une bure de Zurbarán,
une robe de Monet,
une épaisseur de Ryman.
blanc sur blanc
Aurélie Nemours et madé
exaltées
des magnolias de Manet
exhalés…
blanc sur blanc
un espace de contemplation,
de confrontation
rêve blanc…
Bernard Guibert, Auxerre, 3 janvier 2012
pour madé comme humble et modeste hommage
à son œuvre, à sa générosité, et à notre amitié
Secrète et initiatique la géométrie a toujours été présente dans la peinture. Elle organise l'espace du tableau, met en avant un élément particulier, attire l'attention sur un point symbolique ou guide l'œil vers une partie remarquable de la représentation. Le XXe siècle voit la naissance de l'abstraction qui, balançant entre les pôles de la raison et de l'instinct, s'exprime soit par le cri soit par le style.
Malevitch et Mondrian ont mené l'abstraction raisonnée vers des voies triomphantes. La peinture géométrique devait changer le monde, le rendre meilleur. Mais leur pratique mit rapidement en évidence les limites idéologiques et conceptuelles de ces mouvements : le suprématisme pour Malevitch et le néoplasticisme pour Mondrian. Seules leurs œuvres plastiques sont venues jusqu'à nous. Pourtant les pratiques d'un art géométrique ont continué à faire école au cours du XXe siècle : Kelly, Noland et Stout aux USA, Albers, Bill, Vasarely, Dewasne, Legros et Gorin en Europe.
Les artistes invités à l'espace d'art contemporain Eugène Beaudouin, poursuivent dans cette voie avec des intentions différentes. Ils ne s'inscrivent plus dans des groupes ou des mouvements idéologiques. Leur travail est solitaire, ils ne veulent plus changer le monde, mais s'affirment dans une quête silencieuse et spirituelle. Ils nous donnent à voir et nous offrent un espace mental apaisé, silencieux net intemporel que chacun de nous peut reprendre à son compte pour en investir ses territoires et y vivre sa propre aventure spirituelle.
Extrait de l’intervention d’Yvon Mutrel sur le travail de madé, dans la vidéo réalisée par Claude Yvans :
Le contenue de l’œuvre de madé passe aussi par une perfection technique que ce soit tant dans la préparation des formes que dans celle de la peinture parce qu’elle se dit peintre et sculpteur donc il y a de la peinture et du volume dans l‘espace.
Là il y a une perfection, sans cette perfection son œuvre ne serait pas où elle en est aujourd’hui.
J’ai un peu fréquenté madé et j’y ai retrouvé quelque chose qui me renvoie à Agnès Martin dont elle me semble très proche dans la démarche conceptuelle par rapport à son travail mais aussi par rapport à la vie, la poésie et la philosophie.
Je suis très impressionné par cette peinture qui est rigoureuse mais toute pleine de la bonté, de la générosité et de la richesse de cette femme et cela n’a pas manqué de me surprendre. Des artistes qui font des choses géométriques j’en connais beaucoup, mais alors ils sont vraiment géométriques dans leur tête, dans leurs sentiments, ils sont coincés de partout, madé c’est tout le contraire.
Yvon Mutrel
Français
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Pour qu’une œuvre à l’apparence aussi simple – des volumes géométriques peints en couleurs unies – puisse autant m’interpeller, c’est qu’elle est le fruit d’une longue expérience de la peinture. Le choix et la précision de la forme des volumes, le choix de couleurs et leur application en glacis superposés, sont porteurs d’une histoire personnelle nourrie de plusieurs années d’interrogations sur l’art et sur soi-même. La peinture de madé est née de ce cheminement vers soi dont elle incarne et exprime en filigrane le sens profond. Comme le dit le collectionneur André Le Bozec, “ … la densité de l’épure vient peut-être de ce qui a été ôté, de ce qui a disparu dans le processus d’élimination mais dont la trace se perçoit encore et nous aimante1.”
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Toujours à la recherche de la couleur qui soit vraiment silencieuse, au-delà du moindre murmure, l’artiste utilise depuis 2001 un chiffon de feutre pour lisser les couches de peinture, estomper les fines traces de pinceaux qu’elle avait employés jusque-là.
Ce procédé donne un aspect satiné aux surfaces des structures et introduit, paradoxalement, une certaine sensualité dans cet univers géométrique.
Dans son atelier, devant Sur le mur n°1 encore inachevé, et Terre posée au sol, je ressens cette douceur lumineuse.
Détaché du mur, Autoportrait pendu, est un très petit panneau rectangulaire suspendu par un fil d’acier qui l’entoure grâce à une gorge pratiquée dans les trois côtés. La face et les tranches sont peintes en noir d’ivoire ; le dos est peint en blanc. Cette œuvre me fait penser à quelques phrases du Journal de l’artiste américaine Anne Truitt, qui raconte son cheminement vers l’épure : “[…] petit à petit j’ai pris conscience que ce que j’essayais de faire, c’était de retirer les peintures du mur, pour libérer la couleur seule, en trois dimensions. Cela correspondait à la liberté que je ressentais dans mon corps et dans mon être, comme si de quelque façon mystérieuse, j’avais le sentiment d’être moi-même la couleur2.”
Il me semble que madé s’incarne dans la discrète présence noire de son Autoportrait, qui irradie tout alentour d’une lumière blanche. Son œuvre respire de tout ce qu’elle est.
1 Patrick Autréaux, Portrait d'un collectionneur ou un homme heureux, in, L'abstraction géométrique vécue, rencontre entre un peintre et un collectionneur, Musée de Cambrai 2007, p. 27
2 Anne Truitt, Daybook, the Journal of an Artist, Penguin Books, 1982, p. 81 : “[…] I slowly came to realize that what I was actually trying to do was to take paintings off the wall, to set color free for its own sake. This was analogous to my feeling for the freedom of my own body and my own being, as if in some mysterious way I felt myself to be color.”
English
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At first glance, madé’s work appears to be so simple. Her art works are geometric structures either mostly or entirely painted in one single color. But if I find her work so intriguing, it’s because her artistic vision has developed over the course of her long experience as a painter. The choice and precision of the compositions, the choice of colors and their application in transparent layers (a technique called glazing) all carry a personal history that has been enriched over many years of questioning and reflecting upon both painting and oneself. madé’s art has emerged from this inward journey, and beneath the surface, it embodies and expresses the journey’s very meaning. As the art collector André Le Bozec has said: “[…] the density of pure form comes perhaps from what has been taken away, from what has disappeared in the process of elimination but of which there still remains a perceptible trace that attracts us1.”
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Still searching for a way to transcribe color that doesn’t murmur, madé began using a felt cloth in 2001 to polish her painted surfaces and rub out the marks left by the paintbrush. This process lends a satiny aspect to her pieces, bringing a seemingly misplaced sensuality into a geometric world. Standing in front of Sur le mur n°1, still unfinished in her studio, and Terre set on the floor, I could feel the textured softness of the colors.
Hung away from the wall, her Autoportrait pendu is made from a small rectangular panel suspended by a thin steel wire that encircles the panel, running through a groove cut into the two sides and the bottom edges. The pictorial surface and the edges of the panel are painted ivory black; the back of the panel is painted white. This piece makes me think of a few phrases that the American artist Anne Truitt wrote in her Journal, which discusses the evolution of her work towards pure color and geometric form: […] I slowly came to realize that what I was actually trying to do was to take paintings off the wall, to set color free for its own sake. This was analogous to my feeling for the freedom of my own body and my own being, as if in some mysterious way I felt myself to be color2. It seems to me that madé has portrayed herself in the discrete black presence of her self portrait, out from which radiates a glowing white light. Her work embodies everything that she is.
1 Patrick Autréaux "Portrait of an Art Collector or a Happy Man", in Living with Geometric Abstraction: The Meeting of a Painter and a Collector. The André Le Bozec Donation, Museum of Cambrai, 2007, p. 27.
2 Anne Truitt, Daybook, the Journal of an Artist, Penguin Books, 1982, p. 81.
"On définit le chaos moins par son désordre que par la vitesse infinie avec laquelle se dissipe toute forme qui s'y attache." Deleuze.
L'œuvre de madé, dans son étrange rigueur et dans ses plus discrètes, mais décisives exactitudes, semble brûler au fer rouge de cette lutte : ne rien céder au chaos, tracer et donner du temps aux formes les plus subtilement opposées à cette disparition pure et simple, à jamais inaperçue, à jamais inexistante. La simplicité y est réellement extrême. Son secret se tient moins dans l'accès à un rythme ou à une dynamique libre de toute contrainte qu'à un élancement miraculeusement dégagé de la douleur qui lui donne naissance – laissant transparaître un bonheur qui est celui que la lumière donne quand elle devient la courbure d'une forme.
Daniel Dobbels
Atelier Cantoisel, 21 mai 1997
Des lignes invisibles sont tendues entre nous et les domaines qu'entrevoient les artistes. Posées par la réalisation de l'œuvre d'art, elles manifestent une parenté entre cet on ne sait quoi et nous.
Les œuvres d'art font sentir ce qui souffle quand nous approchons de nous-mêmes. Elles sont chargées de ce à quoi elles renoncent pour aller vers ces colonies de lumière et de légèreté qui nous dépassent. Légères, les vraies œuvres sont lourdes du poids de ce dont on les a privées ; elles sont comme des êtres qui appellent sans mot, sans user de force ni de persuasion, en nous parlant de notre incertaine et lente transfiguration.
Etre amateur d'art, c'est chercher qui l'on est et devenir un homme des mers et des silencieux discours.
Que disent les œuvres de madé ?
Pas de mot et c'est heureux. On doit se méfier du langage, il ne dit rien si souvent et, on le sait, ne dit jamais mieux que quand il dit sans dire. Les œuvres de madé témoignent d'une vision qui ne se peut rendre par image ni par mot : elles saisissent ce moment de l'irruption de l'ailleurs et du là-bas, comme quand en mer surgit la dorsale d'un grand être des fonds qui reprend son souffle. Présence d'une réalité importune, mais bouleversante, à la surface des eaux.
Des colonnes torses, des buffets d'orgues réduits à une épure, des sculptures ou peintures en relief qui évoquent des voiles bandées par le vent : œuvres auxquelles on ne peut donner de nom ce à quoi faute de savoir l'imagination supplée et qui sont comme les restes polis d'une mâture et de voilages, où s'est inscrit le désir de la lumière, au sein de cet univers qui ne capte la pureté qu'aléatoirement.
Ces structures de MDF, sorte de bois aggloméré, sont conçues pour s'intégrer au mur auprès de qui elles trouvent leur achèvement : elles en deviennent des émanations. Les œuvres de madé ont l'humilité de se découvrir œuvre complète par l'espace qu'elles accomplissent. Aller retour d'un mutuel achèvement : le mur apparaît et révèle ce qui est silencieux, comme la dorsale de la baleine donne à voir la mer et fait gronder l'invisible.
Des œuvres blanches, jaunes, rouges ou bleues : rostres en majesté ; fémurs, os iliaques ou omoplates suspendus, dont ne resteraient que les lignes de force, des surfaces et des courbes.
En mer, on devient attentif à ce qui tranche sur la houle monotone, aux visions fugitives dont on ne sait jamais si elle souffle ou pas, aux frissonnements du vent, aux clapotis de l'eau lumineuse.
Je me souviens de mes embarquées enfant loin de la côte, très tôt le matin. La ligne de palangrotte vibrait entre mes doigts. Les profondeurs devenaient réelles et le monde immense.
Les œuvres de madé jettent leurs lignes vers cet ailleurs.
Le monde invisible ne se dévoile que par synecdoque : partie qui parle d'un tout, effrayant d'être inaccessible. L'art de la synecdoque est un art de la suggestion ; c'est aussi une protection contre cette immensité qui dépasse nos possibilités de représentation. On pourrait se demander si l'art abstrait n'est pas un art de l'effroi : art de l'impossibilité à saisir le réel dans sa totalité, dans son unité, dans sa diversité.
L'art de madé respecte non pas les secrets du monde, mais leur impossibilité à être saisis.
Il y a une ambition désuète et touchante chez les artistes qui tentent d'atteindre à une encyclopédie du monde dans leur œuvre, ambition adamique qui rappelle qu'au premier homme on demanda de nommer la Création. Une autre démarche part du constat que le tout ne se peut embrasser, que toute tentative est vaine et vouée à l'échec, sinon à s'y risquer par le moins : synecdoque à l'échelle de l'univers.
Cette approche, dans le travail de madé particulièrement, fait grandir en conscience. J'évoque cette amenée en lumière qui ne comprend pas ce qu'elle est, qui sait seulement : dévoilement de ce rien plus précieux que n'importe quel quelque chose. Rien qui n'existe sinon sous la forme qu'inventent les artistes, multiple, jamais absolue et infiniment changeante.
Chez madé, ce rien se trouve surtout dans son travail sur le blanc : la lumière y devient dévoilement de la lumière par le jeu des ombres portées et des réverbérations ; dévoilement de cette forme invisible qui se nomme émotion puis conscience.
Comme est long l'achèvement du cheminement pour l'artiste, cet accomplissement de l'œuvre en soi est incertain. Il s'agit de se laisser ensemencer par ce qu'on ne voit pas, qu'on ne maîtrise pas, sans que cela nous effraie. Ce qui suppose d'être préparé : il y a un apprentissage du discernement pour atteindre à ce savoir d'un ordre que la connaissance ne donne pas.
Le parcours de madé est exemplaire sur ce point.
Venue au blanc dès ses premières œuvres abstraites, elle a dû re-parcourir le chemin trouvé d'emblée vers le blanc par son travail sur la couleur : elle décide d'étudier la réverbération de couleurs sur les pièces qu'elle coupe, rabote et ponce. Le désir ne change pas : son œuvre fait entrevoir ce qui en nous cherche le cachalot blanc, vassal du soleil dit Melville, celui qui à notre insu nage entre les racines des abysses. Celui en nous que traque l'artiste, plus obstinément que nous.
Dans la maison de madé, son œuvre habite un grand atelier blanc. Domaine de blanc qui pense la lumière et ce qui en sort : les ténèbres qu'on éprouve à regarder en face la clarté. Elle aussi est hantée par le vassal du soleil. Elle se laisse investir par cet invisible qui sort des murs et fait franchir les murailles par un art qui tient de la figure de style et qui saisit la réalité par le peu, par le manque, par ce pas assez qui dit ce qu'on ne peut que violer, c'est-à-dire blesser et manquer à la fois, en le disant.
Le travail de madé sur la réverbération est un travail sur ce qui échappe. Elle parle de couleurs « funambules » sous les glacis de blanc ou sur les surfaces blanches de ses œuvres, où se réverbèrent des couleurs flottantes comme celles des plaines autour de chez elle, quand la neige les recouvre. Il s'agit d'obtenir qu'une œuvre ait une couleur qui ne soit pas peinte. Ses œuvres blanches sont trompeuses et complexes : les couleurs sous-jacentes émergent, qui sont l'insaisissable peut-être de la blancheur elle-même.
La courbe, dit madé, s'est installée comme une nécessité, elle capte la lumière blanche, et elle l'ombre comme elle déposerait une caresse. On se souvient du sens de la caresse chez les cabalistes, comprise comme caresse de l'esprit qui interprète le texte des textes, émanation du Verbe de lumière ténébreuse qu'est Dieu pour les mystiques.
madé désire que ses œuvres soient des œuvres du moins possible. Pour y parvenir, il faut énormément travailler. Elle explique ses œuvres ratées : on suit à l'écouter le parcours d'une œuvre qui se cherche. Parfois ça aboutit, dit-elle, mais il faut du temps, apprivoiser les ombres, jouer avec elles et les comprendre : on saisit mieux la lumière par l'ombre et le blanc par la couleur
Et comme toujours, tendre au moins possible, en osant se lancer parfois, quand elle débite du MDF, dans la démesure. Il faut cette démesure : il faut passer par le corps à corps effrayant et jouissif avec la matière pour densifier et équilibrer chaque œuvre, en s'en retirant pas à pas.
La richesse du peu ne vient-elle pas de l'obsédant travail de retrait ? Même si on ne voit plus ce qui s'est retiré, on le sent comme on sent le temps et cet esprit qui souffle sur les plaines autour de sa demeure.
Comme bien des artistes, elle est allée du figuratif à l'abstraction ; mais son chemin, né d'une nécessité, n'est pas empreint d'idéologie. Son œuvre est d'abord un parcours intérieur : elle touche par ses expérimentations, par ses détours, par ses errances ; elle touche par la vérité et par la sensibilité d'un être en marche.
Les plaines enneigées autour de chez elle, outre ces souvenirs d'enfance de haute mer et de lecture de Melville, s'imposent quand je songe à ses œuvres : des étendues ondulant avec douceur, quelques collines presque rases qui retiennent sur elles le ciel omniprésent, et cet insaisissable dont on guette anxieusement l'irruption.
Mais madé transmet quelque chose de plus.
Ses couleurs vibrent d'une spiritualité toujours charnelle. L'artiste parle de l'écriture de sa peinture : elle travaille pour ne plus voir la trace du pinceau, tout en gardant un contact avec la pièce. Ce sont ses blancs qui marquent surtout, où flottent des esprits de couleur. Blanc de neige transpercé par la terre : non le blanc absolu du flocon suspendu, mais un blanc qui vient à notre monde et ne nous glace pas. Une blancheur qui s'est incarnée, pourrait-on dire.
En nous faisant approcher cette blancheur qui n'est pas d'ici, les œuvres de madé nous épargnent ce que cette vision aurait de terrible. Comme ces grands êtres d'une violente tranquillité, en quête desquels vivent les mystiques, elles se défient de donner trop à voir.
Patrick Autréaux
New York, mai 2005
L'œuvre de madé est le fruit d'une détermination impressionnante, qui l'a amenée à rompre avec sa vie antérieure pour trouver la liberté de peindre, et qui la conduit chaque jour à l'atelier pour patiemment penser, sentir, éprouver les infinies données de la peinture. Si l'acte de peindre a toujours accompagné sa vie, c'est depuis maintenant quinze ans qu'elle a choisi de s'y consacrer pleinement.
J'ai eu l'occasion de voir les œuvres de madé à plusieurs reprises, l'exposition de l'Espace d'Art Contemporain de Demigny en 2003 marquant un moment particulier, parce qu'on sentait que quelque chose se précisait. A chaque fois la surprise est venue du fait que l'œuvre n'était pas là où elle semblait se donner à voir.
C'est de cette formulation floue à propos de l'effet que produisaient pour moi les œuvres que je suis partie à leur rencontre. Evidemment il y a l'histoire immense de la peinture abstraite qui est là, et dans laquelle il est facile de faire des raccourcis trop rapides. L'œuvre de madé semble ainsi souvent traverser les propos énoncés par d'autres artistes, sur toutes les composantes de la peinture ou sur la place des objets dans l'espace. On pourrait citer Malevitch, Lissitsky pour les fondateurs ou encore Aurélie Nemours et Andreas Christen. Mais madé a choisi de faire le chemin en résolvant ses propres questions. Elle le fait souvent de manière intuitive, à travers le regard qu'elle porte à chaque fois sur ce qu'elle a peint, à travers son appréhension sensible et sa compréhension née de l'expérience. Non pas qu'elle ignore les propos tenus par d'autres, elle connaît les œuvres, les a beaucoup regardées. Mais il s'agit toujours de re-construire, de re-trouver. Une conception linéaire de l'histoire de l'art, accompagnée du mythe de l'originalité et de la nécessité du nouveau, ne reconnaît que difficilement une voie qui creuse à nouveau un sillon déjà ouvert. Le travail de madé pose la question de la possibilité du chemin individuel dans un champ déjà labouré, du temps individuel dans le temps de l'histoire. Mais n'est-ce pas, dans le champ esthétique, la question de la vie elle-même ? madé y répond dans chacune de ses séries, mais aussi dans l'ensemble de son travail, en tentant de faire apparaître l'unique dans le presque même. Le chemin est étroit, nécessite exigence et vigilance.
A partir de 1987, elle décide d'abandonner toute représentation devenue pour elle inutile. Elle entame alors une patiente étude des composantes du tableau, plans, composition, couleur, forme, espace. Evidemment rien n'est aussi linéaire. Chaque œuvre naît d'un questionnement, auquel elle tente de répondre, et conduit à une autre question. Cela implique aussi de s'arrêter régulièrement, pour voir ce qui a été peint, pour relire les notes accumulées, pour revenir sur telle hypothèse restée en suspens voire sur ce qui apparaissait à certains moments comme une impasse.
Pour préciser encore, les œuvres sont de formes géométriques, peintes de couleurs différentes, familles de formes qui peuvent aller jusqu'à la série. Elles sont nombreuses, témoignage du besoin d'éprouver ce qu'elle explore, sans réel systématisme pourtant. Mais chaque nouvelle question ouvre un monde de possibles dont elle semble s'emparer avec plaisir. Si l'on évoque les formes, elles ont toujours un élément qui semble « travailler » cette géométrie. En fait, la forme est toujours beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît, une tranche fuyante, un angle à peine droit. Cette complexité charge la forme d'une présence singulière, tout en lui conférant une certaine fragilité. Elle semble comme en sursis ; elle est là, mais comme déjà prête à se défaire.
Il y a ensuite le choix du support du bois, du MDF plus précisément, plus lisse. C'est un choix ancien qui date même de la peinture figurative. Il sépare d'emblée la peinture du tableau qui, en tant que tel ne semble pas intéresser madé. Certes la peinture a eu souvent le bois pour support, mais ici, la forme colorée s'inscrit délibérément et directement dans l'espace de l'exposition. Elle n'est pas seulement une surface plane recouverte de couleurs assemblées, elle est relief, jouant aussi de sa relation au mur, à l'espace. Ce support est encore préparé avant de recevoir la couleur, acrylique. Le bois n'est plus ensuite perceptible qu'à travers sa matérialité, sa présence sous la peinture.
Entre 1989 et 1992 madé explore la composition, la relation entre ce qu'elle appelle la « respiration » et « l'événement ». Les panneaux sont superposés, avec des décalages, des interstices. Les angles droits, qui sont ceux de la pièce bleue, s'ouvrent petit à petit jusqu'à devenir courbe avec les Terres. Elle regarde alors attentivement ce qu'il advient des rencontres entre les pans. Les surfaces elles-mêmes s'incurvent, deviennent concaves ou convexes, le triptyque rouge. Les possibles du volume, en tant qu'objet spécifique, sont explorés, à travers les orientations des plans, voire leur fusion dans une sorte de vrille très douce sur toute la surface du volume, ou encore le traitement des angles qui peuvent être sortant ou rentrant. Mais le volume compte moins pour ce qu'il est en tant que tel ou pour ce qu'il modifie de l'appréhension de l'espace (recherches du Minimalisme) que pour ce qu'il induit dans la perception de la couleur.
Car c'est à elle que revient d'animer ces formes. Les premières œuvres découvertes avaient amené pour moi la question de savoir quel était vraiment l'objet de la quête, dans tous les éléments que livraient les œuvres. En effet, j'étais face à de multiples sollicitations, ce que disait le volume lui-même dans l'espace, illusion perspectiviste accentuée encore par la succession des points de vue lorsqu'on se déplace autour. Il y avait encore les effets que produisaient ces différents plans sur la perception de la couleur. Et puis tous les jeux d'ombres et de lumière, colorés ou non. La couleur est pour madé une préoccupation centrale, pour tout ce qu'elle apporte d'infinie émotion dans sa subtilité. Fidèle à la tradition abstraite de la peinture, elle ne manque jamais de rappeler la valeur suprême du blanc, qui permet de comprendre et saisir toutes les autres couleurs. Après en avoir patiemment exploré toutes les nuances, à l'échelle de plusieurs séries d'œuvres, elle éprouve un jour le besoin de se plonger dans des couleurs qui cette fois explosent. Rouge vermillon, jaune d'or, bleu roi ou outremer, la couleur éclate. Après les infinies nuances modifiées par les ombres et lumières, vient s'imposer la couleur vibratoire. Pour maîtriser la couleur, il a fallu trouver ce que madé appelle « l'écriture de la peinture », le geste juste. Les premières œuvres montraient une touche un peu irrégulière, puis le pinceau s'est affiné, le geste a été croisé pour mieux réfléchir la couleur. Elle a finalement choisi d'effacer le geste, en frottant patiemment toutes les couches peintes avec un chiffon de feutre. La couleur a gagné en profondeur par les superpositions et les transparences, laissant par endroits apparaître à peine les teintes précédentes. La série en cours des Carrés de lumière explore tout particulièrement l'infime écart qui naît dans la répétition du geste, et où, pièce après pièce, (quinze sont prévues) surgit l'unique.
Comprendre la couleur et ses effets a nécessité de faire connaissance avec chacune d'entre elles. Pour résoudre cette question abyssale, madé a choisi de les classer par qualité comme en atteste le Polyptyque des 13 carrés blancs avec leur aura (1998) acquis par le Fonds national d'art contemporain, où les carrés ont été peints de différentes couleurs avant d'être recouverts par des couches de glacis blancs pour ne plus laisser apparaître que les tranches. Les carrés sont présentés horizontalement selon une progression de la plus claire à la plus foncée. C'est une facilité de langage que de décrire ainsi le classement car en fait ce qui intéresse madé, c'est la capacité de la couleur à réverbérer ou non la lumière. Forte de cette imprégnation de la nature profonde de la couleur, elle entame un ensemble d'œuvres, les bi-pans ou les pans-toit qui alternent les barres de bois peint avec le vide du mur qui se colore de la réverbération des couleurs peintes sur les côtés des barres. Ainsi le Pan-toit (2005) gris de Payne, vert et blanc, est constitué de neuf barres de neuf centimètres de côté. La nature des angles tout autant que celle des couleurs modifie en permanence la perception de la globalité impossible à saisir, puisque constituée d'une succession de points de vue qui trouent l'espace ou au contraire en surgissent. L''il déambule au gré de ces variations. On pense à Lissitzky imaginant le cabinet des abstraits au musée de Hanovre. Cette œuvre est entre un espace de distraction, fascination pour les jeux de couleurs, et un espace de démonstration, dans ce que l'artiste voudrait nous faire comprendre d'un espace coloré, qui existe par la seule réverbération.
Car l'œuvre de madé explore l'expérience de la perception, dans toutes ses dimensions. Regarder un volume dans l'espace et voir l'effet que produit ce volume sur la perception de l'espace. Ajouter à la perception de ce volume les effets que suscitent les glissements d'axes et de plans, en jouant du rabot. Eprouver les effets de la couleur sur ces formes fuyantes. Troubler encore davantage le jeu, par les effets d'ombre et de lumière, de réverbération et de transparence. Mais tous ces paramètres sont agis avec prudence, en observant attentivement les transformations, non pas pour en faire une démonstration d'optique mais pour toujours préserver l'espace mental et poétique dans cet espace physique du regard.
C'est à cet endroit précis que quelque chose de l'œuvre m'a touché, au-delà des phénomènes et des références souvent involontaires. A cet endroit où l'œuvre n'est pas là où elle semble se donner à voir. La richesse de l'expérience de l'art est de se laisser porter, celle de l'écriture, c'est d'essayer de cerner, de nommer. Comment parvenir à approcher ce qui n'était qu'une sensation ? Ce qui m'a frappé tout d'abord, c'est que cette expérience de la perception n'a pas besoin pour s'éveiller de formats immenses ou d'espaces gigantesques. L'échelle reste modeste, même pour les plus grandes œuvres, et s'adresse directement au regard comme le sens qui saura démultiplier l'espace. La série Infinie prédelle (2003) en est un exemple. Ces boîtes dans lesquelles plonge le regard ouvrent un espace coloré presque à la manière d'un instrument de vision. Les couleurs atmosphériques posées sur un papier d'Ingres teinté, sont celles des pastels choisis par l'artiste comme une mémoire de couleurs vues dans la campagne auxerroise, bruns, gris, verts. Le plan concave fait fuir le regard dans un espace sans fond tandis que la variété des associations entre pastel et papier démultiplie les nuances. Interrogeant madé sur le choix de ces dimensions, elle a d'abord évoqué le hasard des paramètres de la découpe qui l'avait conduit à toujours faire des carrés de quarante-quatre centimètres de côté. Mais elle admet aussi ne pas faire de l'art avec une scie et qu'il y a là un format nécessaire et suffisant pour envahir tout l'espace mental. J'ai pensé à la mystérieuse présence des œuvres de Blinky Palermo, qui n'ont pourtant rien à voir. Et pourtant Il me semble que les objets de madé ont cette même fragilité, cette manière de se tenir juste au bord. Ce n'est presque rien, au sens où la quête n'est pas la perfection, mais quelque chose advient par cette présence.
Le sens même de l'œuvre évidemment est là, où madé dit que la couleur est comme un être, vivant, où il me semble qu'elle nous offre en partage son plaisir sans cesse renouvelé de la contemplation des lumières infinies du jour sur les paysages environnants. La lumière, comme sujet permanent d'exploration et d'émerveillement. La lumière, cœur même de la peinture chez de très nombreux peintres, celle qui traverse un verre ou une bulle de savon dans la peinture hollandaise ou plus près de nous, celle qui se réfléchit sur les surfaces peintes des tableaux de Soulages. La lumière du jour est indispensable pour voir les œuvres de madé car c'est elle qui fait vibrer les couleurs, rebondit sur les pans, les angles et les tranches révélant la nuance rosée et nacrée d'un blanc, traversant le rouge vermillon, révélant les profondeurs du gris de Payne, puisqu'elle n'utilise jamais de noir.
Cette taille qui m'a semblé petite, pas trop petite, mais étonnamment en retrait, est une invitation des œuvres à une intimité du regard. Ces couleurs délicates, ces détails subtils affirment la valeur du temps, celui qui a été nécessaire pour que l'œuvre naisse, mais aussi celui de la perception. Le travail sur la couleur sur lequel est aujourd'hui engagé madé, qui apparaît comme en suspens dans le geste du frottement, prolonge cet art tout en effleurement dans une recherche constante de simplicité. La couleur, dit-elle, est funambule.
Claire Legrand
Foncegrive, août 2005
« entre pareil et presque »
madé habite un curieux endroit. Derrière ses ateliers s'ouvre un jardin, puis des champs, plats, à
perte de vue. « La maison qui me fit signe, dit-elle, est une maison carrée située en bordure
d'une immense plaine ondulée où sont cultivées des céréales. » Là où d'autres souffriraient de
l'horizon monotone, madé savoure les vibrations subtiles des plans et des lignes qui définissent sans
effusion l'aire de son regard.1 Il n'y a rien à voir ou presque ; sans doute faut-il regarder mieux, plus
juste, plus près, cet espace qui, comme son art, ne se présente que comme une somme de
soustractions.
L'exposition Blanc sur Blanc des communs du château de Tanlay présente au sol, en lévitation, trois accents de bois appelés Terre et au mur, 1 losange issu de la série des Inattendues, une série de 26 Variations sur le blanc et deux Polyptyques, l'un constitué de 8 carrés, l'autre de 5 panneaux verticaux, blancs, tous, et tranchés de vert. Une interdépendance irrésolue lie, dans l'œuvre de madé, les éléments couleur, forme, espace et lumière.2
Couleur :
Neiges, glaces,... les blancs ne sont jamais vraiment blancs, les blancs sont couleurs.
Tandis que madé travaillait à Blanc sur Blanc, je l'interrogeais sur les couleurs précisément
employées. madé, ressortant ses notes, me répondit d'un ton monocorde, comme à regret : « cobalt
till, yellow shine, light green,... », me signifiant par là qu'il est vain de leur donner un nom, que la
technique est ennuyeuse, que la couleur se situe entre envie et intuition rien de plus, qu'elle n'a
d'intérêt qu'une fois mise en forme et par la « façon dont on l'écrit ».
Le terme d'écriture implique un geste qui s'applique à se faire oublier : de la touche fine et
juxtaposée des débuts, madé passe, par le chiffon de feutre, à l'invisibilité du geste.
Quand elle est glacis, légèrement orangée, verte ou jaune, la couleur multiplie la capacité
« explosante » du blanc (A. Nemours) ; elle sert la lumière, mieux, elle la fait vivre en l'incitant à
vibrer sur les glacis, à taper sur le fond et à remonter irradier l'immaculée couverte blanc de
titane.3
La couleur valorise la forme du blanc sur blanc, la souligne, la prolonge en s'appropriant les sols et les
murs qui d'accroche deviennent des fonds.
La couleur donne forme à la lumière portée, nous révèle sa présence.
La couleur, dans la variabilité de son contexte (portée, sur la tranche, au revers) et sous l'action de
la lumière et de ses ombres, s'invente des valeurs que l'artiste ne fait que constater, jamais peintes
mais qui existent réellement.
La couleur, ainsi essuyée au chiffon de feutre, efface la forme. madé pose en rivales la forme et la
couleur, pèse leur performance respective, vise l'équilibre tendu. La matité, dense et absorbante,
nie le soulèvement et la fracture centrale des Inattendues, laquelle n'est formellement visible que de
profil. La densité-couleur déforme aussi, faisant fuir abusivement des angles là où il n'y a qu'un carré
inattendu. madé instille avec justesse les surprises optiques préméditées.
La couleur est donc un outil, intelligent et indispensable, mais un outil.
Blanc de titane :
« C'est avec le blanc que j'ai pu faire un long et bon chemin encore actuellement », écrit madé. Le blanc c'est le silence. Pour madé, le blanc est la couleur du deuil et du linceul. Souvenons-nous du portrait de Camille morte par Monet et tous ces traits blancs qui referment la toile sur le visage qui s'absente. Faire vibrer le blanc, c'est nier la mort, c'est exprimer l'état de tension fugace, l'extrême fragilité de la ligne qui sépare la cime de l'abîme, c'est la vie dans ce qu'elle a de plus risqué4. Le blanc a chez madé - valeur d'autoportrait.
Géométrie ou rigueur recréée :
En 1989, lorsque le carré est venu suggérer sa présence, madé s'émerveilla de l'espace énorme et
multiple qui s'ouvrait à elle. « Plus je simplifiais, plus les possibles augmentaient », s'exclamait-elle
alors. D'un carré, madé isole poétiquement deux demi-carrés. Sa Variation en blanc, décline
ainsi 26 demi-carrés (sur les 40 existants), accrochés pour certains à l'horizontale, pour d'autres à la
verticale, en séries, et dont les pentes minutieusement décroissantes (-5°, -10°, -15°, - 20°) boivent
et libèrent une lumière inégale.
Forme, volume et espace ne font qu'un. Adoptant l'expression de Frank Stella, madé qualifie son
travail de « peinture en volume ». La forme illusoirement simple- est découpée dans du bois (MDF),
elle résulte parfois d'un collage, elle est régie par des lignes et hiérarchisée par des plans qui
impactent la couleur, elle détermine une surface, un volume, une tranche active, une instabilité des
angles. Les géométries de madé « jettent leurs lignes vers [un] ailleurs »5, ouvert et fruit d'une
translation mentale. Cette poésie spatiale exponentielle s'avère très vite incompatible avec le travail
initial sur maquette. madé éclate le cadre et s'empare du mur.
L'espace est le tout, « l'Atelier blanc » fait œuvre, remodelé par l'unique ou la série.
La série est la répétition de modules uniques mais presque semblables.
Les modules sont séparés par des intervalles à valeur d'espaces, répétés dans leur différence et
réglés au millimètre. Porteuses de couleurs, ces ruptures sont aussi des liaisons entre le panneau de
bois et le mur, entre les panneaux des Polyptyques eux-mêmes. madé rythme leur presque
parallélisme, leur presque divergence. Elle les tient. Les pentes scrupuleusement déclinées soustraient
diversement la tranche du regard et distillent, à demi-cachée sur le mur, une oblitération tremblante
de vert, de jaune, de rouge,..., qui ne parle qu'aux yeux fragiles.
On lit aussi les intervalles comme des micro-ruptures sonores, à la manière d'une musique sérielle,
sans nuire au silence. La rupture dans le rythme formel et coloré induit l'énergie et sacralise le
silence.
Lumière :
Le premier texte que madé écrivit sur son travail s'intitulait : « La Lumière me fascine » (1999). La
peinture de madé n'a d'autre objectif que d'exalter la lumière. Forme et couleur se soumettent à
l'écriture silencieuse de la lumière, la plus impalpable qui soit. madé s'abrutit à ne pas lui faire
obstacle : lissage, aplat, ponçage répété, glacis, sans touche, geste nié, la lumière bondit, rebondit,
vit, partout. L'« Atelier blanc », lui-même, n'est qu'une extrapolation architecturale conçue autour
et par rapport à une traversée de l'espace lumière.
Simplicité ne rime pas avec économie de moyens. L'artiste consent des efforts extravagants, conçoit
d'exceptionnelles conditions de résonance pour que la lumière apparaisse, comme simplement
spontanée, dans son ampleur et son emphase sacrée.
madé appelle l'aléatoire de la lumière. « Regardez l'homme à la poursuite des distillations de la
lumière qui change à tout moment l'aspect des choses ».6 madé guette les « effets » : soleil, pluie,
brume, nuage... ; la lumière agit à chaque instant différemment, estampe les variations de la couleur
et du blanc sur le mur blanc. C'est en cela que madé peut être qualifiée de « peintre, jusqu'au bout
des doigts »7. C'est en cela que madé se distingue des minimalistes qui aspirent à l'aseptisation des
contraintes de lumière pour objectiver l'œuvre. « Je réalise de courts films, écrit encore madé,
qui disent des moments particuliers de lumière dans mon atelier blanc ». Fils d'une aspiration
anachronique, l'œuvre de madé ne devrait être vu qu'en lumière naturelle, évoluant, au fil des
heures, au fil des jours, dans la durée et le changement.
Stéphanie Le Follic-Hadida
Dr. en histoire de l'art
Face aux verts, automne 2010
1 Georges CLEMENCEAU, Claude Monet, les Nympheas, Paris, Plon, 1928, p.47 : « Une des gloires de l'école moderne fut d'avoir reconnu que la plaine stérile elle-même peut nous fournir, par le jeu de ses lumières, une féconde source des plus hautes émotions de la beauté».
2 Déjà notée par Nicolas BOUILLARD, Les espaces colorés et lumineux de madé.
3 26 Variations en blanc (sur les 40 existantes), conçues entre 1999 et 2001, ainsi reprises en 2008-2010 (glacis et chiffon de feutre).
4 Rejoint l'idée du « juste au bord » et la forme « en sursis » évoquée par Claire Legrand, madé ou la couleur funambule, 2005.
5 Patrick AUTREAUX, madé et l'art de la synecdoque, mai 2005.
6 Georges CLEMENCEAU, op. cit., p.78. «...pour devenir d'incessantes transformations, où se révèle à nous la vie de la Nature en perpétuel ».
7 Marie Lapalus, conservateur au Musée de Mâcon, 1997.
*Une fois décrochées les œuvres de l'exposition estivale de Tanlay, les missions du Centre d'Art de l'Yonne se poursuivent.
À la fin de la saison, suivant la disponibilité de la grande salle des communs du château de Tanlay , Jacques Py directeur du Centre d'Art de l'Yonne propose à un artiste d' y exposer ses œuvres.
C'est une opportunité offerte à l'artiste de montrer une œuvre spécialement conçue pour un espace autre que celui de l'atelier ou de la galerie et de confronter courageusement son travail à un espace plus vaste.
Jacques Py a proposé à madé d'occuper cet espace avec l'exposition Blanc sur Blanc qu'il présente ainsi :
Des formes réduites à des carrés ou rectangles parfois pliés, des rapports colorés limités et des nuances infimes inscrites dans les nombreuses couches picturales superposées sont, depuis des années, les véritables acteurs des tableaux de madé. Mais cette simplicité n'est que l'apparence que prennent les œuvres d'une artiste qui recherche la quintessence d'une expression de la couleur dans son assujettissement à la lumière. Ici, c'est bien dans la matière picturale que la lumière se révèle et dans ses profondeurs que la couleur se nuance. Pour atteindre ce but, l'œuvre est dominée par les exigences d'un travail rigoureux qui associent également le tableau à la blancheur d'un mur et alors, puisque l'accrochage rythme les espacements et cadence les éléments d'un ensemble, la grande salle du Centre d'art de l'Yonne, dans les communs du château de Tanlay, devient naturellement le réceptacle tout destiné à accueillir cette présentation.
Cependant, rien n'interdit d'outrepasser la présence physique de cette mise en espace et, dans la contemplation des peintures de madé, s'autoriser à songer au regard que l'artiste porte sur les paysages de plaine qui environnent son atelier de Champlay et y projeter son goût pour les terres désertiques et les étendues infinies. Ainsi comprendra-t-on mieux l'émotion intense de l'artiste lorsqu'elle découvrit les couleurs inattendues de la banquise inscrites dans la transparence de la glace et comme emprisonnées dans les densités de la matière. Cette expérience sensorielle face au mur d'un iceberg confirma, s'il était nécessaire, l'engagement de madé dans sa recherche déterminée du caractère insondable de la lumière et de la couleur incarnées dans la matière.
*Bernard Guibert
Jacques Py
11 octobre 2010
Préambule.
Les œuvres de madé, dans une incontournable présence, déclenchent une méditation complexe qui nous oriente vers une forme de pureté. Un cheminement subtil offre une alternance de sensations et de questionnements. Cette combinaison donne au spectateur un statut de découvreur et d’explorateur. Un équilibre précaire, alors, devient palpable. Nous devons le dompter pour avancer vers la lumière colorée de madé. Un écrit ne peut aucunement, expliquer cette secrète complexité des œuvres. Afin de respecter la création de madé, nous proposerons un écho discret, un témoignage éclaté. Pour que chaque spectateur puisse élaborer sa propre ascension, il s’agira d’insuffler un processus qui conduira à une meilleure appréhension des mystérieux espaces colorés et lumineux de madé.
madé, étrange nom, il peut dans sa résonance orienter notre cheminement. Son indétermination désoriente. Il ne dévoile pas aisément sa qualité. Est-ce un nom, un prénom, un surnom, un diminutif, un pseudonyme ? Il se pose et s’impose à nous dans son ambiguïté. Nous pourrions en dresser la généalogie et, par là même, la biographie de madé. Justement, ce choix d’une dénomination particulière bloque notre recherche. La consonance des deux syllabes de madé nous oriente. Nous ressentons la notion de protection et de maternité. Mais aussi, se dessine une idée de séparation, d’éloignement, comme une invitation au départ. Dans son identité, le nom madé est à la fois une barrière et un filtre. Il nous invite à une poursuite. madé nous oriente exclusivement vers sa création, comme une mère peut mettre en avant ses propres enfants et orchestrer la séparation. madé nous détourne d’un réflexe biographique pour nous inciter à explorer des contrées inusitées.
madé nous accompagne vers la première étape de notre rencontre. Il n’est pas question d’investir son univers personnel. madé s’efface pour donner à voir une œuvre. Nous devons oublier la séduction de l’historicité pour déclencher le contact direct avec sa production. Et, si nous réussissons à approcher de près l’œuvre, le personnage de madé deviendra plus clair, plus compréhensible, mais strictement dans sa fonction de créateur.
Poïétique.
La rencontre directe avec l’œuvre de madé ne peut éviter la question du processus de création. L’observation de l’élaboration artistique nous permettra de saisir progressivement les fonctions et les enjeux de son œuvre.
Trois lieux de création cohabitent chez madé. Ces pièces
coïncident évidemment avec chacun des temps d'accomplissement de
l’œuvre.
À l’exclusion du lieu de vie, nous avons le lieu de la préparation.
Véritable atelier de production où la construction technique de l’œuvre
s’incarne. Machine-outil et presses nécessitent d’endosser l’habit d’un
véritable maître-artisan. Dans un combat, souvent dangereux avec la
machine, madé rabote, découpe, ponce, assemble, colle... Autant
d’actions proches de l’ébénisterie qui rendent floue la frontière entre
art et artisanat.br>
Le deuxième lieu est l’atelier lui-même. Ici les œuvres sont
inventées et réalisées. Œuvres en conception, en gestation, en
réalisation, en finition, échangent étrangement leur histoire. Lieu,
proche du laboratoire, où se rencontrent le passé, le présent et le futur.
Mélange d’errances, de doutes et de décisions. Nous sentons, presque
palpables, les difficultés inhérentes à la création. La notion de labeur
prend réellement corps. L’âme est offerte aux objets, du premier lieu,
dans une sorte d’arrachement et de tension. madé, dans cette pièce,
ressemble de façon troublante à un scientifique. Les mêmes habitudes,
les mêmes méthodologies, la même logique et la même rigueur servent
une recherche. Elles ne sont pas à proprement parler scientifiques, elles
s’apparentent à un rituel. madé remet en cause la dichotomie entre
science et art. Elle semble les réunir dans une discipline qui reste à
inventer.
Le troisième lieu relève de la sérénité, de l’apaisement. Il est le
lieu de l’exposition. madé semble ici rencontrer pour la première fois
son œuvre. Elle est née, madé la sonde dans un échange méditatif et
évaluateur. Au-delà, d’une présence possible d’un spectateur,
l’accomplissement final se situe dans une pièce entièrement blanche.
L’œuvre devient réalité autonome dans cette étape car elle existe
pleinement dans son rapport à l’espace. De plus, elle a besoin de
lumière pour se nourrir. Cette lumière rentre en jeu ici et prend toute
son importance, elle devient l’un des paramètres plastique de l’œuvre.
Un dernier lieu séparé existe. Il est celui de la mémoire. Ultime
partie de l’acte créatif de madé. L’œuvre doit dormir et être archivée
pour ne pas gêner la progression créatrice. Mais aussi dans sa réserve,
elle doit pouvoir resurgir pour répondre à une question personnelle ou
à une demande extérieure.
Ces lieux nous donnent une indication importante sur l’œuvre de
madé. Aucune place n’est laissée au chaos, au bruit. Une grande
organisation, un vaste projet est sous-tendu par ces lieux. madé gère et
organise son œuvre. Sa création est au service d’un objectif plus global
qu’elle semble s’être assigné. Seule une méthode rigoureuse dans la
gestion de l’espace et du temps pourra permettre d’atteindre ces
objectifs.
Poursuivons sur d’autres éléments liés au processus de création.
Ce qui intervient dans l’élaboration de l’œuvre semble assez simple :
des couleurs pures (pigments, acryliques, craies...), du verre, du M.D.F,
des formes construites, des dessins, des chiffons et quelques produits...
Les objets/formes sont en attente de traitement. Des croquis
donnent une idée des concepts/œuvres à venir. L'étape cruciale en
dehors de la conception semble être la mise en couleur. Moment de la
véritable naissance, mais aussi situation d'une grande prise de risque.
Déposer une peau de couleur exige une grande dextérité, une grande
rigueur et des qualités d’observation évidentes. Physiquement on sent
que c’est éprouvant. Cette couleur qui donnera une existence pleine à l’œuvre doit répondre à des attentes. Elle doit être lisse, sans trace,
mate ou adoucie. Elle doit également avoir un rapport précis avec la
lumière. En somme, elle doit répondre à une exigence spécifique et
préétablie. Les formes sur lesquelles arrive cette peau sont créées
antérieurement dans un véritable travail d’ingénieur. L’œuvre, de toute
évidence, répond à un programme. Il incombe au spectateur de le
reconstituer.
Nous sommes loin d’être exhaustifs ; le processus de création
signifie un questionnement plastique au sujet de l’interaction de la
couleur, de la forme et de la lumière à l’intérieur de l’œuvre. L’œuvre
pourra ainsi prendre place dans un environnement, pour en dernier lieu
questionner son rapport à l’espace. En somme une grande simplicité de
moyens au service d’une organisation rigoureuse. madé cherche ainsi
à défricher systématiquement, méthodiquement et même
scientifiquement le vaste domaine de ce quadrangle ( forme, couleur,
espace et lumière) de phénomènes naturels.
Orientations.
La forme/objet ou la peinture/volume en s’enveloppant d’une
peau de couleur va affirmer sa constitution, sa structure interne et ses
limites. Limites au-delà desquelles existe un espace qui doit interagir
avec cette forme/couleur ou cette couleur/forme. La lumière naturelle
va à son tour donner une identité variable à l’œuvre. Dans sa
dépendance avec la lumière, la création va littéralement irradier,
inonder son environnement et ainsi définitivement le contaminer. Et à ce
moment, la lumière devient le créateur de l’œuvre. madé inscrit la
lumière comme partenaire de création en lui abandonnant une partie
des données. Elle la capte en la domptant et en la laissant aller à ses
caprices.
Le quadrangle de l’œuvre de madé déclenche une véritable
symbiose avec ces phénomènes visuels. La lumière variable, frappe un
carré en évolution dans sa forme. Ce carré grâce aux incidences de sa
forme et de sa couleur mate va donner une charge réellement
matérielle à la lumière. La lumière ondulatoire devient corpusculaire.
Cette opération, quasi magique, modifie presque physiquement le lieu où l’œuvre prend place. Nous sommes de ce fait, les découvreurs de toutes les conséquences sensibles et intelligibles de ce quadrangle. Et ce qui va complexifier notre démarche et celle de madé, sera la réversibilité de l’ordre dans lequel nous appréhenderons ces éléments.
Couleur, forme, espace, lumière.
Espace, forme, lumière, couleur.
Lumière, espace, couleur, forme...
Les combinaisons multiples déclenchent une infinité de solutions et finalement nous parlent brillamment de la complexité des phénomènes plastiques et de leurs impacts. madé s’efface alors pour laisser la responsabilité au spectateur de re-créer littéralement son œuvre. Et lorsque l’œuvre joue avec les transparences, elle nous confronte métaphoriquement à des portes ouvertes sur d’autres mondes.
En poursuivant nos observations nous découvrons des filiations. Elles vont charger de significations nouvelles, sa création. Nous pensons en premier lieu à Yves Klein. Il a choisi le vide et l’immatériel. madé semble choisir la lumière/couleur et la couleur/forme. Elle nous conduit vers une réflexion/imprégnation au sujet de nos sensations et de leurs illusoires fluctuations. En second lieu, nous voyons El Lissitzky et dans sa suite une partie des constructivistes. madé, au même titre que Lissitzky, re-combine entièrement notre rapport à l’espace. En nous faisant oublier ses techniques et son labeur elle re-crée le monde existant en le dotant d’une esthétique nouvelle. madé conduit son art à pénétrer la totalité de l’environnement. Plus proche de nous avec les minimalistes américains (Sol Le Wit, Donald Judd, et Dan Flavin) elle offre des questions sur notre rapport au réel et sa nécessaire structuration mentale. De plus, en raison de la simplicité de ses œuvres, elle développe la notion de la totalité dans l’unité. Suivons Carl André quand il affirme : “...la plus grande économie pour atteindre la plus grande fin”. madé prend à son compte une approche systémique de l’art. Elle nous confronte à des associations troublantes où la somme des parties ne peut être égale au tout.
Avec madé, tous nos sens se trouvent en éveil. Nous cherchons à saisir l’inévitable mouvement du temps dans une suspension troublante du présent. Les œuvres malgré leur fixité, leur côté immuable fluctuent sans cesse au gré de la lumière. La pérennité devient éphémère, nous nous trouvons emporté dans cette logique. Nous pouvons ainsi prolonger notre expérience intérieure. Le spectateur va percevoir ses relations au monde, sonder la vérité de son être. En questionnant son rapport au quadrangle, il va évaluer sa place dans l’espace et le temps, il va comprendre ce qui le lie au monde et in fine sentir sa vie propre.
madé ne raconte pas d’histoires, elle nous libère du monde pour mieux le questionner. Son œuvre nous donne la possibilité de conquérir l’impalpable espace, l’insaisissable lumière, la forme mouvante et l’impénétrable couleur. Inévitablement un conflit, un désaccord émerge de notre rencontre. Notre expérience ne peut s’accommoder de la réalité du monde dans lequel prennent place ses œuvres. La noirceur de ce monde extérieur jure au regard de cette sérénité. Nous sommes saisis alors, d’une véritable interrogation métaphysique ou spirituelle. madé offre seulement l’opportunité de sonder ce qui relève de l’insondable et de communiquer notre expérience. Elle nous donne à voir le miracle de la création dans ses innombrables ramifications. madé noue à l’intérieur d’une étonnante simplicité un dialogue avec l‘univers.
Nicolas B. enseignant / plasticien. janvier 2003
Une impalpable auréole colorée entoure les œuvres murales de madé. On soupçonne un éclairage mais c'est uniquement de lumière qu'il s'agit, celle dont l'irradiation ne devient perceptible que lors de sa rencontre avec une couleur dérobée au regard. Cette peinture qui se soustrait à ses codes traditionnels de mise en forme révèle d'autant mieux la couleur qu'elle la cache, comme une invitation à penser une œuvre au-delà de ses apparences.
Jacques Py
Catalogue qui a peur du rouge, du jaune et du bleu ?
Centre d'art de l'Yonne. 2003
Des peintures préhistoriques magdaléniennes découvertes dans la grotte de Lascaux en Dordogne, aux structures de madé que nous avons découverts à Champlay dans l’Yonne,12 000 ans se sont écoulés... L’art rupestre, après avoir enfanté le classicisme, l’impressionnisme et l’expressionnisme, s’est détaché de la toile pour toujours. Pour madé en tout cas.
Née à Annecy en 1944, madé a installé son atelier à Champlay, voilà sept ans,
séduite par le village, les gens et la lumière. Entre sculpture et peinture, elle réalise des
structiles monochromes à géométrie variable. Et s’il semble facile de jouer avec les mots,
sachez que le travail de l’artiste demeure ardu et complexe.
Les structiles ainsi définit par madé, sont fait d’un matériau appelé MDF
(particules de bois collées), livré en plaques de diverses épaisseurs qu’elle découpe, colle
entre elles sous presse, rabote et ponce avec minutie. Après avoir obtenu la forme
désirée, madé applique un enduit puis un savant mélange de peinture pour obtenir une
teinte monochrome à l’aspect de glacis.
Une fois le structile accroché au mur ou suspendu, la lumière fait le reste. madé
joue avec la réverbération, et les ombres portées sont la continuation de ses oeuvres qui
emplissent d’une certaine quiétude et qui interpellent tantôt notre regard, tantôt notre
esprit. Parfois les deux.
Alain Cancel
Le petit Jovinien
Juin 1999
On aurait tendance à parler d'un travail presque géométrique, mais qualifier ainsi
les recherches de madé serait réducteur et inclinerait à se tromper dans
l'approche de l'œuvre.
Au premier coup d'œil on découvre des peintures monochromes sur volume. Le
regardeur cherche une géométrie pure ou évidente et ne la trouve pas.
Chaque pièce est travaillée, construite subtilement en décalage de plans ou en
surfaces concaves, convexes, planes ou en nappes torses qui déplacent l'œuvre
hors de la géométrie euclidienne. Cette conception des pans donne à l'objet son
volume.
Le travail de la couleur est singulier pour permettre à la ligne et à la surface de
restituer la lumière.
Ainsi la peinture monochrome n'existe pas. Sur une couleur de base, madé
passe plusieurs couches de glacis qui permettent la luminosité de l'objet et
donnent l'impression que la couleur vient du fond. La transparence des couleurs
crée ainsi pour chaque pièce la profondeur qui s'ajoute à la pureté des formes.
La couleur se modifie par l'organisation des surfaces et joue à son tour sur cette
même organisation. Tout n'existe pas de par l'objet : il n'est qu'un prétexte, la
lumière trace le reste.
Ses rapports au mur, au sol, au plafond font du "structile", une peinture en
volume qui prend l'espace. madé crée son univers dans une plastique
personnelle qui résulte de l'ambiguïté des rapports géométriques qu'elle met en
scène.
Philippe Vacquié. Novembre 1996
Toutes les recherches plastiques de madé procèdent de la même quête : comment passer de la forme et de la couleur à l’espace et à la lumière, comme on passait jadis dans l’architecture, du carré au rond par la coupole suprême, basculant dans une autre dimension.
Martine Chantereau
Les formes-lumière de
madé. Samedi & Cie, septembre 2003.
Dans son atelier, à Saint Amand en Puisaye, Jean-Marc Fondimare observe attentivement les variations de la lumière sur les objets qu’il crée en porcelaine. De nos premiers échanges sur nos travaux respectifs, est née une attention particulière à tout mouvement de photons, ces microscopiques grains de lumière qui animent toutes mes recherches de peintre et sculpteur.
À Champlay, dans mon atelier blanc, j’apprends aussi à les regarder à partir des modules que Jean-Marc m’a confiés, sans perdre de vue que je peux voir sans voir, que voir se cultive. Cette observation me demande beaucoup de temps. Réfléchir autrement à partir de cette matière dont je dois tout connaître, également.
Depuis plus de deux ans, créer des dispositifs pour voir les infinies variations de la lumière à partir du blanc de la porcelaine, nous enchante. En partageant nos observations, souhaits, surprises ou inquiétudes, nous constatons que travailler en binôme est une chance : les projets qui en naissent nourrissent simultanément nos pratiques respectives, ce qui ne cesse de nous réjouir. Après avoir donné jour à l’ensemble des Photons voyageurs 1, puis à la série Trois points de suspension 2, notre attention s’est naturellement portée sur la courbure d’une forme.
Jean-Marc moule la porcelaine. Temps de séchage, première cuisson puis deuxième à haute température qui entraîne un retrait conséquent de la matière avec créations aléatoires de légères différences. Là est toute la poésie de ce matériau. À la beauté de la lumière que porte en elle la porcelaine, s’ajoutent les infimes variations de la luminosité du blanc, variations ingérables, surprises de chaque instant. Jamais les mêmes, en perpétuel déplacements et augmentées ou éteintes par la lumière extérieure, celle qui inonde les formes, les frôle ou les caresse, celle qui fera exploser en silence les parties les plus exposées activant tous les photons dans des déplacements peu contrôlables, celle qui par son éloignement ou son absence créera un apaisement.
Chaque personne en aura sa perception unique et pourtant multiple.
madé
Champlay, 3 décembre 2016
1 Les Photons voyageurs, 2015, installation de 82 éléments, porcelaine et engobe, dimensions variables
2 Trois points de suspension, 2015, porcelaine et engobe, 9 x 9 x 4 cm chaque élément, série numérotée de 1 à 12 + 3 HC