madé et Jean-Marc Fondimare
ou l'histoire d'une amitié provoquée
Les Photons voyageurs, 2015
Installation, porcelaine et engobes, réalisée pour la Biennale.
Dimensions variables
Chasseuse de lumière, madé, sculpte la couleur. Habituellement, elle travaille sur mdf (bois). A travers la couleur, c'est la lumière qu'elle vise. L'intensité de la lumière passe par la capacité « explosante » des blancs (Aurélie Nemours). Écrire la lumière et l'exalter par la couleur et par le blanc. Aspiration durable.
La couleur est retenue cachée (sous un angle rentré ou au verso). En appui sur les blancs, elle prend la forme mouvante d'un halo vibrant, d'une oblitération tremblante. Poudre de photons, suspendue à la lumière du jour. Intensité désuète qui ne parle qu'aux yeux fragiles.
Sa rencontre avec Jean-Marc Fondimare lui imposa de penser porcelaine et non plus mdf. La porcelaine est lumière. Alors comment potentialiser sa connaissance du rebond lumineux avec la porcelaine ? Jean-Marc lui a dévoilé un à un les secrets de cette matière qu'elle ne connaissait pas. Ensemble, ils ont imaginé et mis à l'épreuve la porcelaine et les pigments dans leur épaisseur et leur surface. Jean-Marc, comme à son habitude, s'abrutit aux ponçages et à l'effacement du geste pour ne pas faire obstacle à la lumière. Ensemble, ils ont créé les conditions optimales de sa résonance, pour une poésie spatiale exponentielle.
La lumière naturelle de la salle capitulaire sert le propos et berce l'ensemble. La lumière-couleur tisse un lien ténu et tendu entre les modules. La perception de l'installation évolue au fil des heures, dans la durée et le changement.
L'œuvre, au fil du Journal de madé, atelier blanc, 2014-2015 :
Septembre 2014
Le projet Châteauroux m'est proposé : étudier pour augmenter en binôme et dans un esprit d'équipe les potentialités qu'a la porcelaine à capter la lumière.
Le travail sur la lumière m'habite et me fait me lever tous les matins. Je le pratique depuis des années. Seul le matériau change. La porcelaine, c'est blanc et bien tentant. Que faire ? Quitter des recherches en cours pour un tout autre projet qui ouvre sur un tout autre ailleurs est un dilemme et j'ai quand même un peu la trouille !!!!
Stéphanie m'invite à aller voir Jean-Marc Fondimare à Saint-Amand-en-Puisaye, « un pro du coulage/moulage de la porcelaine, un matheux qui donne aussi des cours dans une école de design ». Tout pour me rassurer.
15 octobre
Première rencontre à Saint-Amand-en-Puisaye. Le courant passe immédiatement. Très vite, Jean-Marc me dit qu'il accepte de travailler avec moi (ouf ! J'ai quand même l'âge d'être sa mère). Première démonstration d'un coulage dans un moule, premiers rudiments sur la fabrication. Je prends en main de la porcelaine pour la première fois. Douceur insoupçonnée. Grande émotion. Le blanc de la porcelaine peut varier selon sa composition. Malévitch et son mythique Carré blanc sur fond blanc me traversent l'esprit...
La porcelaine porte en elle sa lumière. Il va falloir partir à sa recherche, l'observer, la faire vivre.
Autour d'un café, Jean-Marc évoque son travail et me sort sa boite à rebuts – qu'il appelle ses erreurs - pour me montrer tout ce qu'il ne faut pas faire. Autant de surprises qui m'enchantent.
20 octobre
C'est parti ! Jean-Marc et moi sommes d'accord pour faire ensemble quelque chose et prêts à accepter la possibilité d'un échec. Plus le moindre doute.
Stéphanie m'appelle, je décroche, j'entends son sourire. Je lui dis : TOUT VA BIEN. Elle me rapporte la réflexion que lui a faite Jean-Marc : « madé aime mes erreurs !!!! ». Ça nous a fait rire aux larmes.
Chacun cogite de son côté, croisements téléphoniques fréquents. Essais de concentrations des pigments, essais de formes, d'épaisseurs, suggestions, analyses, photos, échanges. L'information circule bien entre nos deux ateliers séparés de 70 km.
Nuits blanches autour de l'immensité de ce projet : minimalisme, réverbération, spatialité, poésie.
3 novembre
Dans le vif du sujet. En prévision de la venue de Jean-Marc à l'atelier, je réalise une pièce en mdf de 19 mm d'épaisseur, comme deux morceaux de plinthe fixés au mur à angle droit, pour échanger sur les paramètres mis en jeu : couleurs et blancs dérobés au regard, ondulatoire dans la couleur réverbérée, épaisseurs de porcelaine, le mystérieux et l'aléatoire contrôlé.
Jean-Marc estime que la faible épaisseur des bouts de mdf induit un manque de présence. Bien vu. Plus alors ? Beaucoup de céramistes chatouillent la porcelaine jusqu'à sa translucidité. Pourquoi, au contraire, ne pas en jouer dans l'épaisseur ? Oui, répond Jean-Marc, mais deux centimètres max.
Donc, il faudra inventer une forme creuse dotée d'un angle sur un côté pour dérober la couleur au regard et faire chanter ou murmurer la porcelaine.
24 novembre
Visite du Couvent des Cordeliers, direction la salle capitulaire. Le lieu est classé, impossible de s'emparer des murs. Investir un lieu, c'est d'abord le respecter.
C'est en vue de dessus, par des escaliers de pierre, que nous découvrons cet espace : CHOC. Devant nous, un mur immense sur lequel le regard se fracasse.
Jean-Marc lâche un eh bien madé, on n'a pas intérêt à se louper, c'est le dernier lieu que les visiteurs vont découvrir après tout le parcours que nous venons de faire ! Bon, alors au boulot ! Appareil photo, caméra, mètre, crayon, papier. Se parler, s'écouter, échanger, proposer. Nous restons un sacré moment dans ce lieu de 64 m2, histoire de l'apprivoiser. Jean-Marc invente une scénographie que je trouve séduisante, mais qui dès notre retour en Puisaye commence à s'étioler... et effectivement, elle tombera vite à l'eau. Le séduisant, faut toujours s'en méfier, dixit Aurélie Nemours.
30 novembre
Je dessine le plan de la salle capitulaire au dixième.
1er décembre
Je construis la maquette qui permet de visualiser l'implantation et la circulation des visiteurs. Je découpe du carton, crée des maquettes de socles, je trouve assez rapidement la dimension des plateaux : 80 x 80 cm. A 16h30, j'appelle Jean-Marc pour l'informer qu'elle est terminée. Je lui envoie des photos. Échange de mails et de propositions.
Janvier 2015
Jean-Marc avance bien dans ses recherches de pigments, met au point une sorte de crépis porcelaine pour accueillir autrement la réverbération des couleurs. Moi je patine. Détours, voies sans issue.
Février
Ce n'est qu'en février que la scénographie fait sens et devient définitive : onze socles dessinent les diagonales perpendiculaires de la salle capitulaire, tous assez bas et à la même hauteur. Habiter le silence sans lui nuire. L'installation se découvrira du haut des escaliers.
Question basique : comment tout acheminer ? Nous imaginons des socles démontables et encastrables. La question de la mise en espace étant calée, je me peux me consacrer aux modules en porcelaine : tailles, nombre, couleurs.
Début mars
Je dispose six plateaux de 80 x 80 cm dans l'atelier blanc, sur des supports de 30 cm de haut. Je scie des modules dans du polystyrène, j'assemble, je permute, je recommence tout, une fois, deux fois... Arrive un jour où tout se cale. Juste. Changer un seul élément devient le début d'un autre projet. Je prends tout ceci en photos pour en parler avec Jean-Marc qui approuve. Je me lance alors dans la réalisation des matrices en bois nécessaires à la fabrication des moules et les lui apporte.
Semaine suivante : stage de plâtre pour Jean-Marc, douze moules à créer. Une semaine éprouvante dont il sort sur les rotules !
13 mars
Jean-Marc attribue un nom à notre œuvre en train de se faire : les Photons voyageurs.
19 mars
Les moules sèchent. Les 77 modules seront réalisés, peints et cuits par Jean-Marc selon un calendrier très précis. Moi, je dois débiter du mdf afin de construire les socles. Ensuite, je les peindrai, noir mat pour les piétements et blanc satiné pour les plateaux.
Avril
C'est ensemble que nous découvrirons les premiers modules au sortir du four, dans l'Atelier des garçons de Saint-Amand-en-Puisaye. Deux couleurs : bleu et orange. Pas de retour possible. Livraison et installation en juin. A Dieu vat !
Stéphanie Le Follic-Hadida
commissaire in OBJECTIF TERRE, 18° Biennale internationale de Céramique de Châteauroux
Couvent des Cordeliers / Musée-Hôtel Bertrand, Châteauroux Métropole, 2015