mise à jour : 08/11/2024
Poser mes pinceaux, prendre le temps d’un arrêt sur le temps pour mieux voir ce qui se transforme dans ma peinture, regarder, observer ce qui de moi se transpose, l’analyser, questionner ma peinture tout en me questionnant, choisir dans l’infini des choix et transcrire ces étapes successives, tel est le travail qui s’est imposé à moi à partir du jour où j’ai pris la décision de consacrer l’essentiel de ma vie à la peinture.
La trentaine de textes qui jalonnent ainsi mon cheminement depuis 1987, disent plus un état à un instant qu’un constat, d’où le nom situations que j’ai récemment donné à cet ensemble.
Le gris, une expérience unique au Havre
Mon installation au Havre est une histoire de lumières.
Après un très long parcours où mes expériences sur le blanc ont été importantes au point que « le blanc - chez madé- a valeur d’autoportrait » comme l’a écrit Stéphanie Le Follic-Hadida[1], le gris est entré dans mon travail, sans même me prévenir, au cours de la dernière expérience réalisée en Bourgogne, nommée Écume.
Pour expérimenter le gris, il m’a fallu vivre avec lui, qu’il m’habite, me traverse et me nourrisse continûment. Il a fallu que je sois au plus près de sa lumière. Et ce sont les gris du Havre, découverts en 2016[2], qui m’ont permis de vivre dans le lieu le plus porteur que je connaisse, pour m’autoriser à commencer mes premières recherches.
Installée depuis plus de trois ans dans cette ville, je vis une expérience unique : adaptation à des espaces de travail resserrés, temps d’observation impressionnants, processus de création ré-inventé…
Le gris, en peinture, peut être autre chose qu’un mélange de deux couleurs complémentaires, mélange souvent terne ou muet. Ici, le gris -les gris- que j’observe, proviennent de superpositions de couleurs transparentes et toujours en mouvement. Dans les nues, au plus profond des bassins ou en bord de mer, c’est ainsi que je les vois et les regarde. Le gris est une couleur instable, toujours en train de se faire et se défaire, d’apparaître, disparaître ou re-naître… Pour cela, j’essaie d’en saisir un en le photographiant. Commence alors le protocole en atelier :
-découvrir toutes les couleurs qui le créent.
-tester chacune de ces couleurs transparentes sur des tablettes.
-tester les superpositions des glacis colorés selon leur concentration.
-reproduire pour vérifier une fois encore les meilleurs testes mais sur de grandes feuilles de papier de soie translucide.
-engager la création du gris en superpositions de glacis de différentes couleurs transparentes sur des panneaux de mdf[3], juste en fabricant un gris, un gris lumineux et instable.
Travail tout en lenteur et très exigeant. Patience et attention sont mises à l’épreuve. Mais quelle merveille quand penchée sur un de mes gris ou face à lui, je ressens les vibrations des grains de lumières qui circulent, glissent, rebondissent ou jouent à cache cache dans le volume des couches de glacis, volume micro-mince, certes, mais volume quand même.
[1] Docteur en histoire de l’art, Blanc sur blanc, entre pareil et presque, exposition BLANC SUR BLANC, Communs du château de Tanlay, avec le soutien du Centre d’art de l’Yonne, 2010.
[2] 2016, exposition : Eugène Boudin L’atelier de la lumière, Musée André Malraux.
[3] mdf : aggloméré de particules de bois et colle : médium densité fiberboard
2020, vivre au Havre - souhait que j’ai exprimé dans le texte En partance - se réalise.
Depuis le 1er octobre, une nouvelle lumière m’entoure, une lumière blanche qui inlassablement m’étonne, comme si la lumière dorée de l’Yonne faisait de la résistance dans mes neurones.
Simultanément, je découvre la vie en ville, une ville dans laquelle entre la mer, une mer où glissent, quasi sans bruit, de monstrueux porte-containers de toutes les couleurs, voiliers ou autres embarcations.
Je découvre la vie entourée de copropriétaires sympathiques et attentionnés d’un petit immeuble récent, situé dans la ville basse. Facultés, Conservatoire de Musique, École des Beaux Arts, gare SNCF, cinéma, commerces d’ici et beaucoup d’ailleurs, trams et bus forment mon univers le plus proche. La mer est à trois km à vol de mouette. Deux fois, j’ai surpris entre le clocher de Saint Joseph et la tour municipale -oeuvres d’Auguste Perret- les cheminées de paquebots qui s’en allaient. Quelle émotion !
Mais surtout, je découvre les ciels d’ici, des ciels immenses, fascinants, toujours en mouvement, dans lesquels mon regard se perd tout comme dans les profondeurs des eaux tout autour de la ville basse et du port. Des couleurs, des transparences, des formes insaisissables. J’engrange.
En partance
Il y a 27 ans, je quittais Conflans Sainte Honorine pour la lumière de la Bourgogne et l’espace que m’offrait la plaine céréalière de Champlay, ma chambre de méditation comme souvent je l’ai nommée1. La maison et les dépendances que j’ai investies au fil des années pour mener mes recherches sur la couleur-lumière, sont devenues atelier blanc, mon atelier blanc, lieu que je n’avais jamais imaginé quitter. Et pourtant c’est arrivé. Un déplacement inattendu a ouvert la voie et les étapes se sont succédé. À ce jour, mon projet est engagé par la mise en vente de ma propriété.
Hasard évidence curiosité raison nécessité, dans cet ordre ou un autre, peu importe, tout m’invite à mettre le cap sur la ville du Havre.
Été 2016, j’apprends qu’une exposition des ɶuvres d’Eugène Boudin est présentée au Musée André-Malraux au Havre. J’ai beaucoup regardé les nuages de ce peintre, bien avant de venir à Champlay. Le blanc est une couleur opaque et je voulais comprendre comment Boudin écrivait la peinture sur sa toile pour que ses nuages restent transparents et légers. Et découvrir la ville reconstruite par Auguste Perret compléterait une exposition fort documentée sur son ɶuvre vue à Paris. Je programme donc mon voyage.
Dès la descente du train, de la gare à la plage, je vois du tram, complètement ébahie, l’architecture de la ville basse : petits immeubles au béton à peine rose, à peine gris, nombreux espaces verts -le tram lui-même semble glisser sur un ruban de gazon- larges avenues, l’immense place de la Mairie, quelques tours, des espaces fleuris, des fontaines et surtout cette sensation d’ouvertures quelle que soit la direction du regard. Une ville qui respire et dont le ciel plonge dans la Manche, démultipliant l’espace. Être là face à cet infini est un réel bonheur. Je vis un moment d’éternité tout en me disant et me surprenant : je peux quitter l’atelier blanc. Une évidence.
Je rentre chez moi, heureuse et légère d’avoir vécu trois jours exceptionnels, d’avoir ressenti une sensation analogue à celle que j’avais vécue en arrivant à Champlay, quelque chose d’inexplicable et de très fort, une sorte de re-naissance, une ouverture sur un vague début de quelque chose dont j’ignorais tout, d’autant plus que le projet de m’acheter une place au cimetière de Champlay devenait donc caduc.
2017, une année difficile : ma carcasse se rebiffe. Hospitalisée plusieurs fois, opérée puis retour à une vie presque normale. Ne pas être dans mon atelier fut douloureux pour moi, d’autant plus que j’avais vécu cela en 2015 à la suite d’une fracture du poignet droit. Par contre, cette inaction physique m’a permis de réfléchir à ce nouvel empêchement de travailler, de réaliser que la géométrie tranquille de la plaine n’était plus pour moi une source d’inspiration, de comprendre que j’avais épuisé tout ce que m’apportait la lumière dorée de l’Yonne, de voir que de soustraction en soustraction, le blanc devenait omniprésent dans mon travail : série rien que du blanc à songer, de constater que des gris-sans-mémoire commençaient à s’infiltrer dans mes dernières peintures : série écume2. Mais pour expérimenter les gris, les faire miens, il faut qu’ils m’habitent, me traversent, me nourrissent. Il faut que je sois dans cette lumière-là face à cet espace particulier qu’est ciel-mer-terre quand les limites s’effacent et s’entremêlent, quand les lignes disent la furie et la puissance des éléments par gros temps. Un projet qui devient essentiel même si déménager à 75 ans ne va pas de soi.
être à l’œuvre
est le titre de mon petit livre rouge, ouvrage réalisé dans le cadre du projet de fin d’études de cinq étudiants en BTS Communications et Industries Graphiques du lycée André-Malraux de Montereau-Fault-Yonne en 2018.
Les étudiants : William, Abigaël, Tristan, Thomas et Loïc.
Leur professeur référent : Madame Aline Vallet.
Cet ouvrage de 92 pages, a été tiré en 250 exemplaires numérotés, accompagné d’une oeuvre numérotée elle aussi, nommée : maison pour photons. Elle est imprimée sur quatre volets pliés assujettis à l’ouvrage, accompagnée de toutes les indications pour la découper et la construire.
être à l’oeuvre
, édité par l’atelier blanc.
édition épuisée.
Les Rouges du Grand Nuage Blanc
je ne les pas cherchés, ils sont venus à moi comme un cadeau tombé du ciel.
De terre, d’ocre ou d’oxyde, ce sont des rouges naturellement opaques à l’opposé des rouges de cadmium qui se laissent aisément traverser par la lumière. Ce sont des rouges que j’ai dû aborder et observer patiemment, tester et apprivoiser prudemment, avant de transformer en transparence, leur opacité.
Ce sont des rouges qui m’ont demandé de trouver une solution spécifique pour chacun d’eux, me permettant de les peindre en glacis, des strates de glacis, couches microscopiques et transparentes de matière colorée.
Écrite ainsi, la peinture n’est plus un écran sur lequel la lumière cogne mais un espace dans lequel elle entre. Et elle entre, glisse, circule, ralentit, se cache, s’attarde, s’étale, semble disparaître pour surgir ailleurs, traverse et accélère tout entraînant dans son déplacement silencieux, le regard de l’observateur comme happé en douceur vers les fonds incertains de ce lieu incroyable où règne le duo : couleur-lumière.
Petits volumes sur étagère 1999/2000
Avant 1999, j’étudiais les incidences de la couleur-lumière à partir de formes que j’inventais , le plus souvent des volumes aux surfaces planes mais décalées puis aux surfaces courbes ou torses. Par souci de simplification de mises en œuvres souvent ardues, j’ai créé des volumes illusoirement plus simples, reliés les uns aux autres par des intervalles à valeur d’espace réglés au millimètre afin d’obtenir des ensembles et des séries.
Petits volumes sur étagère inaugure la voie de ces nouvelles recherches formelles.
Vues de dessus, les pentes minutieusement décroissantes des quatre modules absorbent et libèrent une lumière inégale et à peine grise dont les variations parlent aux yeux attentifs.
Vus de côté, les modules donnent l’illusion d’une courbe.
Posés sur un socle noir, ils semblent flotter au-dessus de l’étagère, noire elle aussi.
Cette série fait partie d’un ensemble de quatorze ayant pour seules différences entre elles les valeurs de la couleur sur les pentes. La première série est entièrement blanche. Quelques gouttes de gris ont été ajoutées pour la deuxième et ainsi de suite progressivement jusqu’à la quatorzième. Quand l’ensemble a été exposé dans mon atelier blanc en 2000, il invitait à la déambulation lente et silencieuse.
Regarder une seule série de Petits volumes sur étagère, c’est déjà pénétrer dans l’univers insondable de la différence entre le même et le presque pareil, une des problématiques qui caractérisent mes recherches, jalonnent mon parcours depuis des années et en font l’unité.
Le Triptyque bleu de Mayence
est la première œuvre d’une grand ensemble dont le nombre n’a cessé de croître mais aussi la première acquise par un pays européen en dehors de la France.
En bois ou en verre, le dénominateur commun de cet ensemble d’oeuvres, est d’abord l’apparence d’une géométrie simple tout en donnant à la forme une présence singulière, forte et fragile.
Elles ont été pour moi, sources d’observation et d’étude des variations d’une même couleur -dite monochrome- bouleversée par la présence d'un pli, d’un angle ou d’un simple chanfrein, là où les grains de lumière rebondissent à leur guise, traversent le matériau, se posent sur un mur ou circulent dans l’espace où elles ont été présentées, tout en me faisant douter de l’existence du monochrome. Mais, toutes jouent de leurs relations au mur et à l’espace.
Puis sont nés mes questionnements au sujet du silence dans la peinture ou plus exactement, comment par une écriture de la peinture créer le silence de la lumière ?
Le Triptyque bleu de 1998 a été acquis en 1999 par le Ministère de la Culture de Rhénanie-Palatinat
Rénovation du choeur de l’église saint Martin à Champlay
L’autel, c’est une histoire de rencontres, de regards et de recherche de sens. Un antiquaire vend sa maison à M. Colinot. Il reste dans le jardin quelques cailloux. M. Colinot sait la passion de l’abbé Merlange pour les pierres et lui offre la clé de voûte pour créer un autel. L’abbé Merlange fait le chemin de mon atelier, découvre mon travail et me propose le projet. Moi, je réfléchis, me documente et un jour, je l’accepte.
Créer un autel dans un lieu chargé d’histoire ne va pas de soi. Un autel, par sa seule présence, doit être clairement identifié comme un lieu sacré : c’est la table du Seigneur. Or l’eucharistie est la deuxième partie de la messe. Elle est précédée par la lecture des textes et l’homélie qui se disent depuis l’ambon, lieu de la Parole. Sans le célébrant, image du Christ dans l’assemblée, la messe n’existe pas. Le célébrant a un siège dit lieu de Présidence. Ces trois lieux sont indissociables et font sens.
J’ai donc été amenée à créer des maquettes de l’autel, de l’ambon et du siège, travail tout en tâtonnements, en hésitations, qui s’est développé dans la durée, donnant le temps de l’appropriation à chacun. Le choix de la pierre massive, de couleur claire en dialogue avec la lumière du lieu s’est imposé. Celui aussi de formes simples et de même famille. Il arrive un moment où tout se cale et le moindre changement n’est plus possible ou alors, c’est un autre projet. Ce projet-ci a été accepté par la Commission d’Art Sacré et ne travaillant pas moi-même la pierre, la réalisation en a été confiée à l’entreprise Scandola après appel d’offres.
Par souci d’ordre et d’unité, le siège des servants et le candélabre, simple sphère en écho avec la cavité circulaire de l’autel et symbole de l’univers portant la lumière de la Résurrection, ont été créés dans le même matériau et placés sur la même ligne. La clé de voûte représentant l’Agneau Pascal avec une croix est en lien avec celui de l’autel historique dont le tabernacle est toujours en service, en lien aussi avec un artiste qui l’a sculptée pour les assemblées d’une église inconnue.
Ici, elle revit.
Mon erratum
à vous tous qui avez fait le chemin en l’honneur de l’inauguration de l’atelier blanc agrandi, qui avez réservé dans votre emploi du temps un, deux ou trois jours pour moi, je tiens à vous remercier du fond du coeur de ce temps donné, offert, temps d’amitié partagé dans la peinture. Si je pense vous avoir bien reçus avec la complicité de Louis et Janine, je reste persuadée de n’avoir pas assez pris de temps pour vous présenter mon dernier travail.
J’aurais dû inventer le trou normand de la peinture entre fromage et sorbet à la lavande ou autres surprises sucrées et vous inviter tous ensemble dans l’atelier blanc ne serait-ce qu’un court moment. Là j’aurais lu : 1992, je décide de moi et en 2000 les bipans, textes que j’ai écrits pour mieux situer mon travail et que j’avais posés sur le rebord d’une fenêtre, donnés aux uns et pas aux autres par étourderie et pour certains, passés même inaperçus tant vous étiez nombreux, je dois le dire. Nous aurions pu échanger et partager sur tout ce que je donnais à voir en évoquant ou rappelant le chemin parcouru, parce que des pistes y étaient évoquées.
En effet, dans ma maison, tout en restant dans le même volume, créer une autre lumière et la faire circuler différemment, m’a demandé dix années entre élaboration des plans et réalisation. Pour que ce temps d’architecture soit primordial, j’ai choisi d’habiter l’atelier blanc en présentant sur une même ligne, les quinze triptyques rouges, peintures de même format et presque identiques que je venais de terminer, aussi importantes pour moi que tous les blancs qui apparaissaient différents sur murs, plafond, soupente, mezzanine, poutres, escalier et pourtant issu du même, ce que beaucoup d’entre vous avez ressenti pour m’en avoir parlé.
J’aurais donc dû relier ces triptyques rouges à mes recherches précédentes, les unes récentes, d’autres relativement anciennes. Je vous aurais ainsi facilité la compréhension d’être dans un moment particulier et plus qu’important de mon travail.
Les triptyques rouges font partie d’une longue série commencée en 1996 intitulée carrés de lumière [1] . Ces carrés de 1996, exposés en partie au Musée des Ursulines à Mâcon en 1997 initiaient la première expérience sur l’enfouissement de couleurs opaques sous des couches croisées et posées au pinceau de glacis blancs. Le désir d’écrire la peinture sans pinceau mais en privilégiant le geste de la main est né à partir de cette expérience et en attente de solution jusqu’en 2002.
Entre temps, d’autres expériences m’ont permis de faire avancer d’autres questionnements dont les résultats se croisaient. Par exemple, dans la série des pan-ailes en verre exposée à Talant et à Mayence, la couleur était issue du pastel sec, écrasé dans les parties dépolies du verre, donc sans aucune trace visible et apportant des résultats inattendus et très intéressants.
Les premières tentatives d’écriture de la peinture au chiffon de feutre ont été réalisées avec la série que j’ai nommées Crépusculaires, parce que très foncées. Le chiffon de feutre n’étant pas tissé, m’a permis de peindre en d’innombrables strates extrêmement fines, les pans de ces carrés, créant ainsi une surface lisse et unie. L’impression de regarder un marbre adouci correspondait presque au résultat que je cherchais depuis des années.
Pour réaliser les triptyques rouges, j’ai réunis plusieurs avancées importantes : enfouissement de couleurs opaques de plusieurs verts sous les strates de glacis de rouge de cadmium clair pour ses qualités très particulières. Sur les surfaces des pans, le rouge semble en mouvement tout en créant des profondeurs improbables et des tranches, des photons s’en échappent pour réverbérer sur les murs, d’où le nom que je lui ai donné : rouge-funambule.
Créer c’est penser. Le chemin est long. Je l’ai exprimé dans le travail de gravure -présenté dans dans l’atelier du bas- où le geste de graver dans le bois avec une gouge, rejoint mon travail de peinture sur bois, pensé comme un volume dans lequel je soustrais un autre volume pour que la lumière vive différemment. Si une différence formelle peut être ressentie en les regardant, la sensation, en les observant, de quelque chose qui coule ou s’écoule lentement suffirait à rappeler le temps long de la Peinture.
La prochaine fois, entre deux sorbets, j’organiserai une conférence-débat avec projection de photos, micro et un vrai kurator.
[1] cet ensemble acquis par le FNAC en 2000 a été nommé : le polyptyque des 13 carrés blancs avec leur aura.
1992 je décide de moi
Une plaine
sans borne sans montagne sans mur
courbes tendues
étendues parcellaires
céréales mûres.
Un vent
l’ondulatoire.
Là, à perte de vue
démultipliés
les Quatuors d’Aurelie Nemours.
En bordure un village
dans le village une maison carrée et ses dépendances.
C’est là
nulle part ailleurs
et cette sensation inexplicable
de naître à moi-même
infiniment lentement.
Investir un lieu
c’est lui donner lumière et silence originels
en faire une œuvre
c’est l’écouter pour le voir
et réaliser les possibles invisibles.
L’ancienne forge vidée nettoyée
devient lieu de réflexions de réalisations.
L’espace de vie lavé badigeonné habitable.
La cour débarrassée de ses cabanons et appentis
du marronnier rabougri
respire enfin.
Carrés réservés
plans décalés
allée de briques
la dessinent.
Terre arable contre silex
les plantations s’envisagent.
Choisir des fleurs en fonction d’un climat particulier
d’une palette préférée
observer celles qui s’adaptent ou souffrent
maîtriser ou se séparer de celles indisciplinées
requiert patience respect ténacité
sans point possible
sinon l’anarchie.
Aujourd’hui ma cour m’enchante
les fleurs s’épanouissent avec grâce
la lumière l’inonde
surprises sans cesse renouvelées.
Deux ans après
le besoin d’espaces spécifiques s’impose.
Dans une partie de ma maison
je crée l’atelier blanc.
Plans décalés ou rectilignes
courbe tendue pour l’estrade
lumière en diagonale
lieu ultime
où chaque peinture est accrochée en situation
regardée analysée sans concession
aimée
en attente ou rejetée.
Dans les dépendances
l’écurie devient atelier des presses et entrepôt
la grange atelier des machines à bois.
Au sortir de ma maison
la plaine est ma chambre de méditation.
Parcourir sa géométrie tranquille
engranger ses couleurs
variant au gré du temps au gré des saisons
se soucier d’un rayon de pollen
d’une ombre de terre
regarder voir écouter
respirer ressentir
marcher et marcher encore.
Ici le temps ignore les brusqueries
les nuages s’effacent lentement
le froid le chaud s’installent dans la durée.
Correspondances
et lente osmose des éléments
comme en écho
dans le temps de la peinture.
Dix ans plus tard
l’espace prend toute sa place.
Dessinés peu après mon arrivée
les possibles deviennent visibles.
Sensations transposées
des voiles blancs de Robert Irwin
la lumière dégringole du ciel
traverse les ouvertures
se pose sur les épaules
ou glisse dans l’escalier nouvellement installé
inonde tout l’étage libre de ses cloisons
et d’un quart de plafond
elle circule
l’atelier blanc devient majuscule.
in : Le temps des Demeures : Une maison pour la peinture, ouvrage collectif sous la direction de Jany et Michel Thibault, éd. Maison Cantoisel, Joigny, 2012
en 2000
les bipans
de leur analyse naissent
pantus
pantoits
duo-pans
boîtes à lumière
primaveras
zinzolins
indicibles
issue d’une surface peinte
dérobée au regard
la lumière colorée s’échappe
cogne le pan d’un voisin
dans un pan détonant
habite le mur
perturbe l’espace
le lieu et l’écriture de la peinture
en lévitation
elle me bouleverse
couleur sans trace ni marque
irréelle
ineffable
nés d’une recherche simultanée sur le verre
pan-ailes
et matutinales
me renvoient aux mêmes questionnements
aux mêmes émotions
une nouvelle expérience s’impose
écrire la lumière
sans pinceau
tout en privilégiant le geste de la main
carrés de lumière
série de quinze triptyques
en cours de réalisation
rouges
rouge-funambule
où le pan lisse comme un marbre adouci
absorbe le regard dans un silence sans fond
crépusculaires
carrés aux trois côtés
non-évènement dans une respiration
supplient la caresse
infinies prédelles
où forme
matité et velouté du pastel
englobent le regard
suspendent parole et temps.
entre l’unique et le presque pareil
je surfe sur la différence
infime et pourtant océane.
toutes les oeuvres nommées ici, sont visibles dans les archives de 2000 à 2006
Le Repos de Sylvie
L’année 2004 a été marquée par le terrible accident de Sylvie, fauchée en pleine jeunesse par un conducteur alcoolisé. Marc, mon neveu, m’a demandé de créer pour sa soeur l’urne qui contiendra ses cendres, dernière demeure de Sylvie après le procès. Impossible pour moi de refuser cette demande de Marc dans laquelle je sentais un quelque chose d’essentiel sans tout comprendre.
J’ai porté ce projet dès sa demande. Comme toute création, la gestation a été lente, longue, difficile et parsemée de multiples questions. La naissance de l’urne, douloureuse. Faite de bois d’arbre enveloppée de médium pour que je puisse peindre tout l’extérieur, c’est un parallélépipède rectangle dont l’intérieur comprend deux parties : une petite pour recevoir nos trésors en lien avec Sylvie, l’autre pour ses cendres. J’ai souhaité capitonner tout l’intérieur de soie blanche. Un soir, dans le silence et la lenteur du travail de couture sur la soie, une découverte m’a comme transpercée : le travail de l’aiguille a quelque chose de mystérieux. L’aiguille perce, troue, blesse, saigne et le fil noue, assemble, rassemble, unit. Deux extrêmes, là sous mes yeux, dans mes mains…le fil répare les dommages
le fil répare les dommages
le fil répare les dommages…
Éprouver cela a été une expérience violente, inouïe, et dans les répétitions du mouvement et du bruit, comme une demande de pardon. J’ai tout de suite regretté très fort l’absence de Paule ma soeur, sa Maman. Elle aurait dû être là avec moi pour créer ce drôle de berceau. Elle, à la machine à coudre, moi devant l’établi où pendant tout le travail d’élaboration de cet objet unique, Papa était si mystérieusement présent dans mon atelier.
Le repos de Sylvie se pose horizontalement. La peinture extérieure est d’un beau gris foncé et le couvercle blanc. De plusieurs blancs. Il est traversé par le dessin d’une croix, une croix en vue de dessus, qui évoque celle de l’église de Saint-Laurent-du-Var qui le jour du premier enterrement, planait au-dessus de nos douleurs indicibles. Elle relie le ciel à la terre que j’ai représentée par la ligne courbe très tendue en écrivant en lettres d’or Sylvie Rizzante, de part et d’autres du pied de la croix. C’est à la fois la courbure de la terre et celle d’un arc en ciel. Sylvie, c’était un soleil.
Sur les petits côtés de l’urne, j’ai peint les dates 2 mai 1972, 24 avril 2004, dans des sens opposés de lecture, interrogeant l’alpha et l’omega comme le va et vient des cloches que le prêtre à fait sonner à la volée en signe de Résurrection, ce 7 mai 2004 tous réunis par sa présence.
C’est en créant le repos de Sylvie que tout a fait sens pour moi. Faire une oeuvre qui ne soit vue ni partagée est contraire à mes pensées. Partager une oeuvre, c’est lui donner son existence. L’oeuvre d’art traverse les siècles, vit au-delà de la mort. Elle vainc la mort. Seules les photos diront l’existence de l’Urne de Sylvie quand la justice en aura fini avec le procès et que la deuxième étape, cette de l’incinération désirée par Sylvie, pourra être réalisée. Elle sera vue cependant par une famille restreinte, celle présente à Torrazzo en Italie où une partie de ses cendres seront dispersées et celles et ceux qui feront glisser l’urne auprès du cercueil de son Pépé tant aimé dans le cimetière de Charvonnex en Haute-Savoie.
Et lentement, a fait sens pour moi, l’analogie entre ce travail et mon rapport au bois.
Cadeau de Sylvie et Marc, présent intemporel. Là est mon histoire.
Ne pas mourir
être peintre, s’est s’engager
en s’inscrivant à la Maison des Artistes
qui gère les cotisations de la Sécurité Sociale
c’est déclarer ses revenus
et donc faire partie d’une profession indépendante
soumise à une législation spécifique
être peintre, c’est travailler régulièrement dans son atelier
chaque jour sans se décourager
avec ténacité foi passion persévérance
et sans doute avec un peu de folie
être peintre à plein-temps
c’est faire le pari de vivre de son travail
choix difficile mais possible
c’est surtout ne pas mourir
quand on a quelque chose à dire
alors la vie n’est plus une galère
elle a la saveur claire d’un vent de liberté.
sur bois
j'ai peint des arbres
j'ai peint des toits
j'ai peint des champs
et comme tout le monde j'ai peint des fleurs
et peut-être pas comme tout le monde
j'ai peint trois fenêtres et une porte fermée
c'est l'époque des glacis
glacis qui transforment la couleur
font vibrer la lumière
je pense la saisir, je la fige
les vibrations deviennent temps mort
les arbres deviennent un
un seul dans la plaine
évènement dans une respiration
les toits, enchevêtrement de pans
deviennent un
un ensemble de tuiles
les tuiles deviennent rectangles
sans plus savoir si elles restent tuiles
ou vues aériennes d'étendues parcellaires
les champs deviennent un
un rectangle dans le rectangle
j'entre dans la géométrie
posant sur le monde un regard nouveau
je décide de moi
alors lentement
je réapprends la couleur
cinq quatre trois puis deux
tout en travaillant le volume
volume d'une épaisseur dérisoire
par rapport à la surface du plan que j'évide
pour faire entrer la lumière
les tranches colorées des pans décalés
créent des ombres portées
ou des réverbérations
le mur devient fond
la couleur monochrome
d'abord orthogonaux
les pans s'ouvrent
la ligne courbe apparaît
plus je fais simple plus je m'interroge
des questions sur la couleur restent en attente
le travail en série devient évidence
quinze carrés recouverts de glacis gris rosés ou orangés
puis treize carrés blancs avec leur aura
et naissent les bipans
dans un nouvel espace
j'entreprends de travailler sur les variations du blanc
quand l'inclinaison du pan change
autre lumière
autre silence
autres réflexions
changer d'atelier c'est revenir à l'espace originel
aller au-delà de la toile blanche
c'est quelque chose du domaine de l'espace mental
dans une sorte de vertige je vois tous les possibles
j'imagine que je peux mentalement ôter
la peinture comme une peau à poser
sur un plan
naissent les pan-ailes sur bois
puis sur verre
le silence écrit autrement
d'autres questions laissées en attente trouvent des solutions
je reprends les recherches sur les surfaces
concaves,
convexes,
en biais ou planes
seize peintures en volume sont en chantier sur le même principe
évènement dans une grande respiration
Le polyptyque des 13 « carrés blancs avec leur aura » 1998
Le polyptyque des 13 carrés blancs avec leur aura fait partie des recherches que je mène depuis plusieurs années sur les blancs. Cette expérience se situe entre celle de la série des quinze carrés blancs des années 96-97 et précède celle des quarante modules de la série Variations sur le blanc que je suis en train de réaliser. Dans la série des carrés de 96-97, le blanc de titane était recouvert de glacis gris, rosés ou orangés.Sur ce polyptyque j'ai procédé de façon inverse. J'ai d’abord peint chacun des treize carrés que comprend la série, d'une couleur opaque :
blanc de titane
jaune de cadmium clair
jaune de cadmium moyen
jaune d'or
orange de cadmium
un rose
rouge de cadmium clair
ocre
un bleu ultramarine
vert de Hooker
dioxazine purple
un brun foncé
gris de Payne,
Puis j'ai recouvert chaque couleur de sept couches croisées de glacis blanc, uniquement sur les pans, c’est à dire sur la face carrée du volume. Les tranches, gauches, droites et dessous ont été recouvertes de blanc de titane et les tranches supérieures ont eu pour fonction de garder la mémoire les couleurs enfouies sous les couches de blanc du pan. Aucune vernis final n’a été utilisé.
Résultats :
1- tous les blancs obtenus sont différents et chaque blanc a sa spatialité. J’ai même observé sur la ligne des 13 volumes présentés sur un mur blanc, une progression. Le premier volume en commençant par le tout blanc, était le plus loin du mur donc le plus près de mon regard et le dernier de la liste le plus près du mur et presque au-delà, donc le plus éloigné de mon regard. Cette progression n’avait rien de chaotique.
2– les couleurs de chacune des tranches supérieures, du volume tout blanc à celui avec rouge de cadmium clair, ont réverbéré sur le mur où ils étaient présentés. C’était comme si j’avais installé à l’intérieur du volume -qui en fait est plein- un dispositif lumineux qui aurait produit ces phénomènes colorés.
3– toutes les autres couleurs à partir du ocre, ont créé sur le mur une présence discrète à peine teintée par la couleur originelle.
Cette expérience m’a confortée dans mes recherches : les couleurs créent des espaces différents selon leurs compositions. Ces espaces, si le mur est pris pour référence, sont devant le mur pour les couleurs claires et au-delà du mur pour les foncées. Chaque couleur a une spatialité qui lui est spécifique et porte en elles des qualités particulières.
œuvre acquise par le Fonds National d'Art Contemporain en 2000
La lumière me fascine toujours
les surfaces torses dessinées puis sculptées au rabot
les surfaces courbes, toutes s’effacent
dans les installation récentes de la série Variations sur le blanc
et pourtant elles sont là, impalpables limites air/peinture.
La lumière m’augmente
simplifier pour mieux voir
pour mieux entendre le silence dans la peinture
simplifier pour s’interroger davantage.
La lumière me fascine toujours
le silence me nourrit
La lumière me fascine
d’où les décalages de plans qui créent des ombres portées ou des réverbérations.
Les teintes se modifient au gré du jour
la couleur monochrome n’est plus tout en étant.
La courbe -courbe très tendue- s’est imposée en 1992.
Un jour, en conjuguant lignes verticales, obliques, convexes ou concaves
j’ai découvert que je pouvais sans tracer de lignes courbes
créer une surface torse où la lumière se pose comme une caresse.
La lumière me fascine
le silence aussi.
Ce qui m’intéresse :
- l’entrelacs
- le nombre 2
- deux éléments qui forment un tout, différents et unis
- le + et le -
- le plein et le vide
- le métal et le bois
- l’ombre et la lumière.
Je crée un volume, généralement un parallélépipède rectangle dont l’épaisseur est dérisoire par rapport à la surface du plan et dans ce volume, j’enlève un anti-volume. Je travaille donc sur des plans décalés, tout en créant des ouvertures.
Les volumes que je conçois sont des vues de dessus.
Ce qui me fascine :
- les mystères de la couleur
- les mystères de la lumière
- ce qui est là
et pourtant n’est pas peint
- le silence
- l’espace.
Traversée
Durant plusieurs années ma peinture a été figurative. Les uns la disaient hyperréaliste, d’autres y voyaient un trompe-l’oeil. Attirée par des sujets comme les toits et fenêtres, j’ai peint sur bois et toujours avec enthousiasme, des peintures aux titres évocateurs :Regards sur les toits d’Annecy,Toits de Conflans-Sainte-Honorine, Au fait du toit, Les trois cheminées pour ne citer que celles-ci et Fait main, Fenêtre aux géraniums puis Nostalgie. Ces trois dernières peintures représentaient chacune une fenêtre vue de l’extérieur. Elles m’ont permis d’explorer la technique des glacis que j’avais apprise auprès du peintre Jean-Olivier Hucleux. Faire entrer à l’intérieur des espaces de ces lieux d’habitation, les reflets d’un nuage, d’une grille en fer forgé ou d’un morceau de ciel devenait presque magique.
1986, la peinture que je réalisais en cette fin d’été sur un panneau de grand format, c’est à dire plus haut que moi, représentait une porte fermée, séparée du sol par une marche en pierre. C’est donc une porte d’entrée, plutôt brunâtre et qui prenait presque tout l’espace de ce panneau. À la poignée, accroché par une ficelle, un petit morceau de carton sur lequel on pouvait lire À VENDRE. Posés sur la marche, un bouquet de soucis et des faire-parts de décès sur lesquels tout spectateur déchiffrait avec un peu de patience : retour à l’envoyeur.
Cette peinture m’avait beaucoup demandé ne serait-ce que pour représenter tous les détails que je souhaitais peindre y compris la poussière qui au fil du temps s’accumule forcément sur l’huisserie d’une porte d’un lieu déserté. Elle a été pour moi, l’expérience d’une sensation que je n’avais jamais encore éprouvée : celle de l’ennui.
Cette peinture que j’ai nommée Le non-retour, a été l’élément déclencheur de la prise de conscience de ce qu’est une peinture. Quel vertige ! J’étais comme tétanisée. Impossible pour moi de dessiner ne serait-ce qu’un trait. De nombreuses questions m’assaillaient : horizontal ? vertical ? en biais, en zigzag ? Idem pour choisir une couleur.
Alors j’ai tout rangé dans mon atelier, ai tapissé les murs de papier blanc et dans ce vide ai pu commencer à comprendre ce qu’est regarder. J’entrai dans un monde nouveau.